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5 films immanquables repérés au Festival Côté Court

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  • 2023-06-16

Après 10 jours de compétition audacieuse et surprenante, l'événément phare de Pantin s'achèvera ce samedi 17 juin. Un jour de carnaval avec Ovidie, une romcom parano de Jacky Goldberg, un roman-photo symphonique de Garance Kim : on fait le point sur les films qui nous ont transporté.

D’Autres chats à fouetter d'Ovidie (2022)  

En 2022 déjà, Ovidie, réalisatrice féministe et engagée, questionnait nos idées préconçues sur le travail du sexe et l’industrie du cinéma pornographique, grâce à sa géniale série Des gens bien ordinaires. Avec D’autres chats à fouetter, son dernier court métrage en date, elle s’attèle une nouvelle fois à désarmer nos préjugés avec un humour décapant. Paula mène une double vie. La semaine, elle est professeure d’anglais dans un lycée. Le week-end, vêtue d’une combinaison en latex aux faux airs de Catwoman, elle se métamorphose en dominatrice pour subvenir aux besoins de ses clients. Quand elle se retrouve enfermée en dehors de son appartement en pleine session de travail, elle arpente la ville à la recherche de son double de clés et se retrouve contrainte de participer au carnaval de son lycée.  

Contrairement aux super-héros qui œuvrent généralement dans l’ombre, Paula (brillamment incarnée par Sophie-Marie Larrouy, qui collabore pour la troisième fois avec la réalisatrice) se retrouve exposée au regard de tous. Loin de prendre peur, elle va pleinement assumer sa singularité et offrir à tous une représentation de son art : la domination (avec comme partenaire le proviseur du lycée, déguisé en Batman pour l’occasion). Jamais là où on l’attend mais toujours pertinent, D’autres chats à fouetter dresse un portrait libre et décomplexé d’une pratique sexuelle souvent marginalisée : le BDSM, qui ne serait alors rien de plus que des adultes consentants s’adonnant à un jeu de rôle. Si dans la séquence finale, une héroïne naît (qui, on l’imagine, va veiller à la sérénité du quartier en permettant à chacun d’exprimer librement ses désirs), Ovidie, elle, a définitivement fini de s’imposer comme une des cinéastes à suivre du paysage cinématographique français · Chloé Blanckaert

Le film est à voir sur France TV.

Bruits de souvenir de Garance Kim  

L’image manquante : elle est au cœur du court-métrage de Garance Kim (réalisatrice de Ville éternelle, coécrit avec son complice Martin Jauvat), qui a demandé à un ami (amant en devenir ?) de lui décrire ses dernières sensations visuelles, après qu’il soit devenu aveugle. Le deal est aussi simple que périlleux : Garance Kim doit donner chair aux souvenirs imperceptibles d’un autre, transmuter le son en une matière palpable. Débute alors un roman photo expérimental, désorienté, qui en quelques plans juxtaposés touche du doigt une incroyable synesthésie.  

Une initiation à la chasse lors d’un été se transforme en herbier où se déchaînent le soufflement du vent et des arbres ; les viscères d’une viande saisis en gros plan deviennent un paysage à arpenter du regard ; les moteurs monstrueux d’une voiture invoquent le souvenir d’un dernier road-trip estival. Crépitements de feu, battements de cœur, coucher de soleil dans un rétro, nombril dénudé : ici tout est échos de formes ou rimes sonores. Il s’agit de renouer avec la trivialité des choses, de replonger les mains (et les oreilles) dans l’organicité du monde, par un montage analogique ingénieux. Discrètement proustien, le projet de Garance Kim nous rappelle que l’ouïe, bien plus peut-être que la vue, est un formidable terreau de la mémoire. Son essai impressionniste devient alors l’histoire d’une résilience par l’art, la découverte que d’un handicap (la cécité) peut naître un super-pouvoir : celui de rendre les souvenirs moins périssables · Léa André-Sarreau

Le film est à voir sur mk2 curiosity.

Safety Matches de Pauline Bailay

Dans cette mystérieuse fiction (qui n’est pas sans rappeler le cinéma de Quentin Dupieux), Léa et Claude enquêtent sur la disparition inexpliquée de portes (oui, de portes). Entre deux cigarettes, ils font la rencontre de Jeanne, dernière victime de ces mystérieuses disparitions. Partant de ce postulat un peu absurde, le film développe un récit d’investigation qui s’articule autour d’un comique de situation et d’une esthétique ultra-soignée. 

Pauline Bailay, dont c’est le premier court-métrage, déploie habilement un univers qui se situe entre réel et absurde grâce à une mise en scène où tout semble minutieusement travaillé. Tout est calculé, le moindre vase dans le décor, la moindre boîte d'allummettes, le moindre costume, le tout filmé par une caméra quasi statique qui permet de verrouiller intelligemment le cadre. Ce dispositif permet à la réalisatrice, qui est également designer textile et produit, de nous plonger pleinement dans un monde déroutant qui met au coeur de sa narration un objet de notre quotidien. Le duo d'enquêteurs, joué par Rio Vega et par Agathe Bonitzer (récemment vue dans Music d’Angela Schanelec et dans Comme une actrice de Sébastien Bailly), est très efficace. L’un est nonchalant et impatient lorsque l’autre est plus concentrée mais parfois dragueuse, une sorte de good cop/bad cop qui renverse astucieusement les stéréotypes de genre qu’on a l’habitude de voir au cinéma · Hugues Porquier

Le Jour où j'étais perdu de Soufiane Adel (2022) 

D’un côté, la sonde Voyager, issue du programme d’exploration spatiale américain, qui s’apprête à quitter notre système solaire. De l’autre, Alain Diaw (incarné par l’acteur franco-sénégalais Souleymane Sylla), jeune trentenaire qui commence un nouveau travail dans une grande entreprise technologique. Lui aussi s’aventure dans un univers méconnu, peut-être même hostile. Dans un couloir, il rencontre Thomas (Damien Bonnard), qui lui demande de vider les poubelles, convaincu qu'Alain est le nouvel agent d'entretien. Thomas apprendra plus tard qu’Alain est en réalité le nouveau directeur régional de l’entreprise… 

Avec son court métrage Le Jour où j’étais perdu, Soufiane Adel (dont le court métrage “Kamel s'est suicidé six fois, son père est mort” était sélectionné à la Quinzaine et à l’Acid à Cannes en 2007) pointe du doigt un des grands paradoxes de notre époque. Comment peut-on être autant avancé d’un point de vue technologique, sans parvenir à nous défaire de nos préjugés archaïques, hérités depuis plusieurs générations ?Les personnages sont traversés par ces questionnements : si Thomas se met à questionner ses croyances profondes, Alain préfère l’inviter à construire le futur. Ni fataliste ni défaitiste, le réalisateur nous propose, avec cette fable initiatique aux marqueurs spatio-temporels volontairement flous (la sonde Voyager faisant écho aux années1980, là où l’univers de l’entreprise paraît plutôt futuriste), d’abandonner nos repères l’espace d’un instant. Plaçant l’innovation au cœur de sa démarche artistique, le jeune réalisateur multiplie les plans audacieux (grand angle et vision à 360°) toujours avec cette même volonté de nous immerger dans une expérience sensorielle nouvelle. Oscillant entre réalisme, science-fiction et utopie, Le Jour où j’étais perdu esquisse les contours d’un avenir meilleur · Chloé Blanckaert

Dilemme Dilemme de Jacky Goldberg (2023)

Comment date-t-on quand on est complotiste ? Sans doute trop occupés à railler ceux qui pensent que l’homme n’a jamais marché sur la lune ou que David Bowie n’est pas mort, nous avons oublié que les grands paranoïaques aussi ont un cœur qui bat. Dana (Julia Faure) et Fox (Vincent Macaigne) ont matché sur l’appli TrueFinder, et leur premier rendez-vous galant démarre comme un épisode de X-Files (auquel le prénom de l’héroïne est un clin d’œil) : sous le signe de la méfiance réciproque et de codes secrets nébuleux. Alors qu’ils réalisent vite qu’ils ne partagent pas les mêmes convictions, d’étranges phénomènes transforment leur parade de séduction en délire lynchien… 

Jacky Goldberg (journaliste et réalisateur de Flesh Memory, docu sur une cam girl texane) fait mouche en déplaçant finement le regard que la société porte sur les complotistes : pourquoi ne pas envisager leurs élucubrations, habituellement marginalisées, moquées, comme une réserve de fiction plutôt que comme une menace ? De ce canevas narratif audacieux, le réalisateur tire un dispositif tiré à quatre épingles, maîtrisé de bout en bout grâce à un sens du découpage aiguisé. Dans un décor de drive in aux couleurs saturées, les répliques fusent, tranchantes comme des lames, pour monter crescendo vers une forme d’absurdité jouissive - Dana et Fox s’accusant mutuellement d’irrationalité à mesure qu’ils surenchérissent dans des théories débiles sur l’existence d’un trou noir. A mi-chemin entre l’héritage de la comédie US à la Noah Baumbach et une cérébralité très littéraire des dialogues, le film trouve un ton bien à lui. Et frappe fort par un délicat exercice d’équilibrisme : cultiver le malaise de façon raffinée, sans jamais verser dans le jugement moral envers ses personnages · Léa André-Sarreau

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