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Didier Daeninckx et Denis Peschanski : « Missak Manouchian est le premier résistant étranger et communiste à être ainsi honoré »

  • Jean-Marie Durand
  • 2024-02-02

Alors que Missak Manouchian sera le premier résistant étranger à entrer avec sa femme, Mélinée, au Panthéon, le 21 février 2024, l’écrivain Didier Daeninckx et l’historien Denis Peschanski, conseiller historique du comité pour la panthéonisation des résistants, retracent dans une bande dessinée engagée le parcours exemplaire et tragique de ce héros de la résistance. Rencontre.

En retraçant avec Mako dans votre BD l’histoire de Missak Manouchian, connu pour sa lutte durant la Résistance auprès des Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée à Paris, qu’est-ce qui vous a le plus ému en lui ?

Didier Daeninckx : Missak Manouchian a vécu trente-sept ans, et son épopée dans la branche armée des FTP-MOI est comprise entre février et novembre 1943. Le fil de sa vie, depuis l’adolescence, tient à son amour des arts. Il veut devenir poète, comédien. Il crée des revues, écrit, lit sans relâche. Il vit en communauté. Il pose pour les peintres, les sculpteurs, survit au moyen de multiples petits boulots. Un travailleur et intellectuel ubérisé. C’est cela, avec Mako, qu’on a voulu mettre en lumière. Ce fil brisé par la chape de plomb des fascismes. Et l’engagement politique, jusqu’au terme ultime, pour sauver la poésie.

Comment comprendre que Manouchian, entré dans la mémoire nationale, suscite aujourd’hui l’admiration de tout le pays ?

Denis Peschanski : J’ai été frappé et agréablement surpris par ce consensus. Prenons un seul exemple : deux présidents de région se sont associés très tôt au comité pour la panthéonisation, initiative lancée par l’Unité laïque, Carole Delga et Laurent Wauquiez. La reconnaissance est essentielle par le seul fait que c’est le premier résistant étranger et le premier communiste à être ainsi honoré. Elle s’inscrit dans une perspective universaliste, la convergence identitaire étant de mise alors même que l’assignation à résidence communautaire fait tant entendre sa voix. Manouchian était arménien, communiste, internationaliste, antinazi, et profondément attaché à la France de la Révolution française. Nous avons ainsi découvert il y a quelques mois qu’il avait demandé par deux fois, et en vain, sa naturalisation, en 1933 et en 1940.

Sa panthéonisation vous semble-t-elle aujourd’hui le signe de la reconnaissance par l’État français de la place et du rôle des étrangers dans l’histoire du pays, et de la Résistance en particulier ?

D. D. : Oui, l’apatride Missak, auquel on a refusé par deux fois la nationalité française, entre au Panthéon accompagné de Mélinée et de ses vingt-deux compagnons de l’« Affiche rouge ». Une centaine d’autres étrangers vont se voir reconnaître « Morts pour la France ». Cela vient bien tard, mais on a pris la mauvaise habitude dans ce pays de dilater le temps.

Comment comprendre que les vingt-trois condamnés à mort de l’« Affiche rouge », engagés dans le combat résistant, restent un symbole aussi fort de la Résistance française ?

D. P. : Le symbole est fort parce que l’action est forte : mener la lutte armée en plein cœur de Paris et fragiliser ainsi des Allemands qui, depuis 1940, s’étaient fixé comme objectif premier d’assurer la sécurité des troupes d’occupation n’était pas un mince défi. Qu’ils aient combattu pour la France, eux, étrangers pour la plupart, Arméniens, Italiens, Espagnols, Juifs d’Europe centrale…, au risque de leur vie – et ils le savaient – est un symbole d’autant plus fort que l’occupant et une officine collaborationniste ont orchestré, autour de cette fameuse affiche rouge, une campagne propagandiste dénonçant ces métèques, judéobolcheviques. Une campagne qui s’est retournée contre ses initiateurs au point que nombre de Français pensent aujourd’hui que c’est une affiche de la Résistance en hommage à ces héros.

D. P. : Spécialiste de la France des années noires, j’avais depuis longtemps travaillé sur la place des étrangers dans la Résistance. En 1989, pour un livre [Le Sang de l’étranger. Les immigrés de la MOI dans la Résistance, écrit avec les historiens Stéphane Courtois et Adam Rayski, ndlr], j’avais déniché les trois filatures [dont Missak Manouchian a fait l’objet et qui ont conduit à son arrestation, ndlr] qui s’étaient enchaînées de janvier à novembre 1943, et montré ainsi l’origine principale de la chute. Il y eut quinze ans plus tard un documentaire, à partir des archives de la préfecture de police de Paris. Je pouvais donc déjà m’appuyer sur ces connaissances accumulées, et sur celles des nombreux collègues et de témoins, précieux, comme Boris Holban, qui constitua les FTP-MOI parisiens en avril 1942 et les dirigea jusqu’à son remplacement, au tout début d’août 1943, par Missak Manouchian. Il fallait être très rigoureux, évidemment, pour le cadrage historique. Mais, ce qui a été extraordinaire, c’est qu’à cette occasion nous avons pu éclairer des moments importants de la vie de Manouchian, restés inconnus jusque-là.

Qu’est-ce qui vous émeut personnellement le plus chez lui ?

D. D. : Il suffit de lire sa dernière lettre pour approcher son extrême humanité. Il ne se pose pas en martyr, il rend toute sa liberté à son épouse, souhaite qu’elle porte l’enfant qu’ils n’ont pas eu. Ce qu’il exprime de la politique, c’est qu’il appartient à l’armée de libération française et qu’il n’a pas de haine pour le peuple allemand. On touche là à l’explication de ces mots ampoulés : la grandeur d’âme.

Étranger, communiste, internationaliste, que penserait-il, selon vous, de la récente loi Immigration voulue par Emmanuel Macron, qui a pourtant décidé de transférer ses cendres au Panthéon ? Que dit, selon vous, de la société française ce télescopage de deux décisions politiques aussi éloignées l’une de l’autre ?

D. D. : Missak Manouchian est un être très complexe. Militant communiste, il a conservé intacte son amitié pour le poète Séma avec qui il avait créé deux revues, alors même que Séma défendait les Arméniens persécutés par Joseph Staline et qu’il s’était prononcé contre le pacte germano-soviétique. De la même manière, Manouchian a enrôlé son presque homonyme Manoukian dans les FTP-MOI, un Arménien trotskyste rescapé des prisons staliniennes. L’entrée de Missak Manouchian et de ses camarades au Panthéon constitue, à mes yeux, la critique la plus radicale des dispositions de la récente loi de circonstance sur l’immigration.

D. P. : La première leçon à tirer, c’est de ne pas tout mélanger. Ce qui doit interroger, à mon sens, c’est, comme vous l’indiquez, l’état de la société française. À l’encontre de la situation alors qu’approche la Libération, en 1943-1944, la tendance, aujourd’hui, est à une forme d’atomisation, de repli sur soi, de rejet de l’autre et à un déchaînement de haine que nourrissent les réseaux sociaux et les petits calculs politiciens.

« Didier Daeninckx et Denis Peschanski. À Missak Manouchian, résistant étranger : la patrie reconnaissante. » Rencontre modérée par le journaliste Olivier Pascal Moussellard (Télérama), suivie d’une signature le 6 février, au mk2 Bibliothèque, à 20 h séance avec livre : 22 € | − 26 ans : 5,90 € | étudiant, demandeur d’emploi, porteur carte UGC/mk2 illimité : 9 € | tarif normal : 15 €

Missak Manouchian. Une vie héroïque de Didier Daeninckx, Mako et Dominique Osuch (Les Arènes, 120 p., 22 €)

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