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« Sick of Myself » de Kristoffer Borgli : freak show

  • Joséphine Leroy
  • 2023-05-25

[CRITIQUE] Avec ce deuxième long métrage délicieusement provoc qui s’acoquine avec le body horror, le Norvégien Kristoffer Borgli (DRIB, 2017) s’amuse du narcissisme de notre époque, à travers l’histoire d’un couple toxique, prêt à tout pour se faire remarquer.

Signe (géniale Kristine Kujath Thorp, repérée dans Ninjababy d’Yngvild Sve Flikke, sorti en 2021) et Thomas vivent à Oslo. Lui, artiste, commence à se faire un nom dans le milieu de l’art contemporain ; elle l’accompagne, mais commence à jalouser l’attention qu’on porte à son cher et tendre (jouer les simples doublures ou la compagne en retrait, très peu pour elle). Progressivement, Signe se laisse aller à une spirale de mensonges : pour que les spotlights se tournent enfin vers elle, elle a l’idée de s’inventer une maladie rare. En réalité, elle se shoote à un médicament dangereux, vendu sur le dark web, qui a pour effet de la détruire physiquement…

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Avec cette comédie noire acerbe, où le rire et l’effroi se combinent magistralement, le cinéaste Kristoffer Borgli pousse les curseurs loin. Il fabrique des antihéros imbuvables, obsédés par leur image, et aspire le spectateur dans ce jeu de miroirs narcissique. Il se joue du vrai et du faux, notamment grâce à des regards caméra malaisants ; ou à des projections mentales qui, alternant storytelling et expériences réellement vécues, détraquent le récit. Sans concession, il nous oblige à regarder ce qui tache – parfois littéralement : les fringues crades de Signe, puis son visage massacré sont autant d’éléments qui viennent salir le décorum propret de la société norvégienne. Autour de ce couple affreux, sale et méchant, le réalisateur parvient surtout à traquer les phénomènes flippants produits par cette société de l’ostentatoire. Car, si Signe et Thomas peuvent s’autoriser à aller jusque-là, c’est qu’ils ont saisi les codes qui permettent aux quidams d’exister, pendant un temps au moins.

Le fameux quart d’heure de célébrité warholien n’est possible que parce qu’il existe des structures médiatiques pour le soutenir, et c’est là que le film, au-delà d’une simple mais vaine posture provocatrice, devient politique : il montre une agence de communication qui, sous couvert d’inclusivité, est profondément raciste et validiste ; une presse avide de récits sensationnalistes, qui ne s’occupe même plus de vérifier l’authenticité des informations ; un monde de l’art fermé, aristocratique, obsédé par les phénomènes de mode du marketing… La créature que devient Signe, aussi fascinante que repoussante (on la verrait d’ailleurs bien s’aventurer dans le cinéma de David Cronenberg), n’est pas qu’un phénomène de foire : elle est le résultat ultime, la conséquence directe d’une société normative qui se drape derrière une fausse éthique. Après avoir vu le film, on comprend pourquoi des cinéastes aussi radicaux que John Waters (le trajet chaotique de Divine dans Female Trouble, sorti en 1974, rappelle d’ailleurs celui de Signe) et Ari Aster, qui en ont fait l’éloge, l’ont tant aimé – on est même tentés de penser que Borgli sera leur digne successeur nordique.

Images (c) Tandem Films

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