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« Le Ciel de Nantes » : pourquoi il faut voir la puissante pièce de Christophe Honoré

  • Renan Cros
  • 2022-03-14

Après « Nouveau Roman » et « Les Idoles », Christophe Honoré convoque sur scène les fantômes de son histoire familiale. Un immense spectacle, douloureux et puissant, hanté par le cinéma.

C’est l’histoire d’un film qui ne se fera pas. L’histoire d’une famille française de l’après-guerre, ses démons, ses non-dits, ses morts et ses vivants. L’histoire d’un petit garçon, témoin muet de tout cela, devenu cinéaste et aujourd’hui dramaturge. « Pourquoi dois-tu toujours tout vivre deux fois ? », demande la mère de Christophe au petit Honoré, au milieu du Ciel de Nantes. Une phrase qui résonne et touche profondément.

Le cœur battant d’un spectacle intime, traversé de tristesses et d’éclats de rire, qui cherche dans les pouvoir de l’art un moyen de se consoler. Car oui, il s’agit bien ici pour Christophe Honoré de vivre, revivre et redonner vie encore et encore, chaque soir, à cette famille maternelle qui le hante. Pour la comprendre, peut-être. Lui pardonner, aussi. L’aimer pour ce qu’elle est.

Cinéaste délicat, Christophe Honoré a su imposer au théâtre son regard singulier, jamais tout à fait là où il faut, comme il faut, jouant avec brio des codes de la scène, ses conventions et ses politesses. Le Ciel de Nantes ne déroge pas à la règle et mêle brillamment pudeur et impudeur, intime et spectaculaire, théâtre et cinéma.

Dans le velours orangé d’une vielle salle de quartier, Christophe convoque les fantômes de cette famille à la projection imaginaire d’un film sur eux. Les images manquantes se font mots qui claquent. Très vite, ça chahute, et les fantômes réclament leur droit à la vérité, s’indignent, rectifient, digressent et prennent le contrôle d’un film devenu pièce de théâtre.

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Inventif et joueur, mené par une troupe comme toujours impressionnante (Marlene Saldana, incroyable matrone, Jean Charles Clichet, parfait tonton débonnaire, Chiara Mastroianni, bouleversante tante sacrifiée, Julien Honoré, délicate mère…), le spectacle bouleverse par sa façon de marier avec délicatesse le tragique et le désuet. Séance de spiritisme joueuse, Le Ciel de Nantes est autant une déclaration d’amour qu’un exorcisme douloureux. Jonglant avec ses souvenirs, Honoré cherche à être le plus honnête possible, le plus juste.

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Ecartelé entre le récit terrible, à la fois tragique et politique de ces Atrides de Nantes et la mélancolie douce de ces morceaux de vie d’avant, ces souvenirs d’hier émiettés comme de petites madeleines, le spectacle n’est jamais une ligne droite vertueuse. La liesse d’un match de foot à la TV croise l’ombre terrifiante d’un grand-père violent, les mots terribles de la lettre d’une sœur et d’une tante poussée à la folie dialoguent avec une de ces chansons que l’on réécrit et que l’on chante pour un mariage, le cœur brisé d’un petit fils par la dureté d’une grand-mère homophobe se répare aux sons syncopés d’un vieux tube de Sheila qui disait déjà tout.

« Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon », écrivait Tolstoï en ouverture d’Anna Karenine. Précipité des refoulés et non-dits de la France des années 1970 et 1980, entre patriarcat toxique, Guerre d’Algérie et racisme latent, Honoré raconte avec Le Ciel de Nantes la fabrique d’un malheur bien français.

Dur et pourtant joyeux, le spectacle emporte par sa générosité, son inventivité constante, sa liesse et son intelligence. En osant être ainsi frontalement intime (jusqu’à un final bouleversant), en faisant dialoguer avec une telle maitrise, les pouvoirs imaginaires et consolatoires du théâtre et du cinéma, Christophe Honoré touche en plein cœur. Constamment au bord des larmes, le sourire aux lèvres, Ce Ciel de Nantes va chercher ce qu’il y a de plus secret en nous. Quelque chose d’un adieu à l’enfance, une forme de désillusion inévitable, et la possibilité peut-être de faire la paix avec ça.

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Le Ciel de Nantes de Christophe Honoré, du 8 mars au 3 avril au Théâtre de L’Odéon – 2h15

Image : Le Ciel de Nantes © Jean-Louis Fernandez

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