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CANNES 2023 · « Jeunesse (Le Printemps) » de Wang Bing, du cœur à l’ouvrage

  • David Ezan
  • 2023-05-18

Premier documentaire sélectionné en Compétition depuis 2004 au côté des « Filles d’Olfa » de Kathouer Ben Hania, ce film-fleuve signé Wang Bing consacre enfin sa carrière hors norme. Et met en lumière un regard puissamment politique sur une Chine en forme de grande usine mondialisée.

Chine, quelque part entre 2014 et 2019. Dans les ateliers-monde de Zhili consacrés à la confection textile, les piles de vêtements pour enfants s’entassent sur des coins de table ; sur l’une d’elles, on distingue la mine rieuse de Mickey Mouse cousue en série. Sous les néons blafards de la pièce exiguë, celle d’un atelier comme il y en a des centaines ici, une quinzaine de jeunes ouvriers travaille à négocier quelques kopecks sur leur prochaine commande.

La caméra de Wang Bing filme la scène avec fébrilité, loin de la scolaire discrétion du documentariste passif. Au contraire : partie prenante de l’agitation générale, elle s’aligne aux côtés des travailleurs lors d’une confrontation musclée avec leur patron. C’est que la démarche du cinéaste outrepasse la simple captation ; non content d’infiltrer les coulisses pourtant si bien gardées – et on comprend pourquoi – du capitalisme hardcore chinois, Wang Bing « capte » moins qu’il ne révèle.

Révélation au sens purement formel, qui n’exclut pas de tordre le réel pour mieux trahir sa vérité. Ainsi les mouvements des travailleurs, occupés à coudre et découper toute la sainte journée, sont-ils parfois filmés en accéléré ; à moins que ces corps disciplinés à l’extrême n’en produisent précisément l’illusion ? Ainsi les couloirs et coursives monumentaux où logent les ouvriers sont-ils transformés en labyrinthe infernal, dans une logique kafkaïenne.

Cet enfer industriel où ne jurerait pas l’ironique devise « Le travail rend libre » telle qu’elle fut apposée sur les camps de concentration nazis, où des vies humaines se consument à huis clos, la caméra nous y jette sans sommation ni précaution. L’expérience est viscérale, presque nauséeuse, rythmée par l’épuisant ronronnement des machines à coudre.

Et pourtant jamais Wang Bing ne cède à une dénonciation nihiliste, comme pourraient le suggérer ces lignes. C’est là son idée la plus lumineuse, la plus bouleversante : révéler ce qui résiste encore à l’asservissement, ce qui frémit encore dans les cœurs. En s’attardant longuement sur les histoires d’amour et les chamailleries qui hantent les ateliers, le cinéaste fait ainsi un choix politique ; le choix d’arracher cette jeunesse à la déshumanisation comme à l’indifférence du monde. Ne serait-ce que le temps d’un film.

Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 16 au 27 mai 2023.Tous nos articles sur l’événement sont à suivre ici.

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