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  • 3 min

Que devient le cabaret à Paris ?

  • Belinda Mathieu
  • 2024-02-02

Loin des grandes scènes du Lido et du Moulin Rouge, des collectifs d’artistes ont monté une multiplicité de lieux, dans la lignée du cabaret Madame Arthur, où les formes sont pluridisciplinaires, queer, et où le propos est politique. Focus sur celles et ceux qui prouvent que ce genre artistique est loin d’être suranné.

Une à deux fois par semaine, à quelques pas de la rue de Clignancourt, on se retrouve dans le sous-sol du bar Co. En bas des escaliers, l’ambiance est moite. Serré sur des chaises bancales, le public a les yeux rivés sur une petite scène. Quatre acolytes font le show : Bili Bellegarde, Mascare, Grand Soir et Soa de Muse (connue du grand public grâce à la première saison de l’émission Drag Race France, diffusée sur France Télévisions). Les complices ont retapé la baraque pendant le covid pour créer le cabaret La Bouche, ouvert début 2022. Ici, on lit Brouillon pour un dictionnaire des amantes de Monique Wittig et Sande Zeig, ponctué par les envolées lyriques de « Je sais pas » de Céline Dion. On scande une version remixée de « La Boulette » de Diam’s en dénonçant les violences policières. On devient un gang sexy en cagoule rose et mauve armé de néons. Plutôt du genre politisé et pop, La Bouche n’a pas la langue dans sa poche. « Ce n’est pas simple de se définir quand on est attaché·e·s à la notion de trouble », explique Mascare, en béret noir et manteau de fourrure. Bili Bellegarde, tête blonde et body à jabot blanc, ajoute : « Sur scène, je partage qui je suis, une enfant Chérie FM, transfuge de classe, lesbienne. Je fais part de ma culture musicale, qui est la variété, tout en changeant les paroles pour transmettre des messages d’intersectionnalité et d’émancipation. » Dans cette maison, où le pianiste Grand Soir, en talons hauts et tenue rose bonbon, livre ses compositions touchantes qui esquissent un désir queer, on s’inscrit dans la tradition des cabarets « big dyke energy parisiens », à l’instar de Chez Moune et de ceux de Joséphine Baker et Suzy Solidor.

PETITS DE MADAME ARTHUR

Petits de Madame Arthur, Bili Bellegarde et Grand Soir se produisent aussi chez Madame Arthur, un des cabarets les plus connus (et anciens) de la scène parisienne. Réputé pour ses shows en français qui en mettent plein les yeux, il propose des soirées thématiques dédiées à un ou une artiste de la chanson, de Dalida à Jacques Higelin en passant par Céline Dion et Björk. Cet établissement, créé en 1946 et connu comme le premier cabaret travesti, renaquit de ses cendres après une rénovation en 2015. Il a fallu quelques années pour que la sauce prenne et attire un public de jeunes adultes, probablement poussé par la popularité de l’émission de télé américaine RuPaul’s Drag Race, inscrite au catalogue Netflix français à la fin des années 2010. Si Madame Arthur apparaît désormais comme plutôt mainstream, il reste toutefois un point de convergence pour les actrices et acteurs du cabaret parisien de toutes générations.

En février 2023, Power Beau Tom devient le premier drag-king – catégorie de drags qui incarnent les clichés masculins là où les queens campent une féminité exacerbée – à intégrer l’équipe des « créatures » du cabaret situé rue des Martyrs. Un moyen pour l’institution de continuer de s’ouvrir aux jeunes générations, tout en offrant un beau tremplin à cet artiste de 24 ans : « C’est en passant les auditions que je me suis rendu compte du poids de cette institution aux artistes incroyables, et que j’allais pouvoir gagner ma vie avec. » Sur la scène de la célèbre maison, Power Beau Tom incarne des féminités et masculinités déviantes, « butch et pédé »,de la culture gay, armé de sa guitare, de sa bouille bonhomme et de son mulet blond platine. Il n’a néanmoins pas déserté les scènes plus émergentes comme le Cabaret des possibles, et il se produit souvent au Café de Paris.

PETIT MAIS PUISSANT

Une fois tous les deux mois, le jeune king Jakob organise, au Scenobar, à Ménilmontant, la Scenokings. Ici, moins de strass et de paillettes que chez Madame Arthur, mais la convivialité ne fait pas défaut. Cette soirée dédiée aux drag-kings accueille des types de performances très diversifiés : chant, danse, lip-sync, comédie, à l’instar de Jakob, qui propose un show théâtral, comique et historique en lien avec l’identité juive : « La scène drag-king est parfois moins spectaculaire et vendeuse que d’autres types de cabarets, maiselle est souvent très politique. C’est aussi une communauté très soudée, où tout le monde se connaît. C’est un milieu particulièrement bienveillant, qui permet beaucoup d’expérimentations. » En 2020, alors que nous publiions un article sur cette communauté encore balbutiante, la scène était circonscrite à quelques soirées, notamment au bar lesbien La Mutinerie et au KLUB, rue Saint-Denis. Depuis, les scènes se sont multipliées, tout comme les vocations, faisant germer des dizaines de soirées à Paris (La Misan­drag au Bonjour madame ou le Cabinet des queeriosités au Cabaret des merveilles). Même si Jakob déplore encore la difficulté à trouver des espaces adaptés : « Je crois que beaucoup de lieux s’attendent à quelque chose d’esthétique et de divertissant, alors que les drag-kings sont souvent préoccupés par des questions d’identité de genre, qui ne sont pas forcément comprises. »

Au Secret, à quelques pas du Père Lachaise, Jérôme Marin, alias Monsieur K, ponte du milieu, a bien compris l’importance d’avoir un lieu à soi. Au Truc du Père Lachaise, un garage confortablement aménagé pas guindé pour un sou, cet ancien de chez Madame Arthur au haut de forme et maquillage de Pierrot a constitué à partir de 2019 une troupe d’une cinquantaine d’artistes chevronnés qui ont à cœur d’expérimenter. On y partage une quille avec ses voisins devant le chant poignant de la Bellini, qui tacle, en filigrane dans son interprétation, les platitudes de Paul Verlaine et célèbre la folie de Brigitte Fontaine, ou devant les excentricités de Tante Françoise, Versaillaise coincée en tailleur et collier de perles. La satire politique est au rendez-vous, tout comme celle de la virilité toxique, sous les traits d’un ermite bourru misogyne. Le maître mot de Jérôme Marin ? La proximité avec les spectateurs et spectatrices : « L’espace permet au public de nous voir dans les coulisses, de se tenir très proche de nous. Le public est un partenaire constant, avec lequel on crée une dynamique irremplaçable. » Une promiscuité propre à ces lieux, qui, comme La Bouche, n’ont aucune ambition de s’agrandir : « Les petits cabarets permettent ce lien, mais aussi une liberté totale qui est très précieuse, notamment celle d’être moins assujettis à une économie de marché », ajoute Monsieur K.Dans la tradition du célèbre Chat noir et de ses expérimentations, Le Secret laisse la place à l’improvisation et aux plantages. Ils font le sel du cabaret, garantissant des moments partagés rares et touchants.

• La Bouche, au bar Co, 5, rue Esclangon, Paris XVIIIe

• Madame Arthur, au Divan du monde, 75 bis, rue des Martyrs, Paris XVIIIe

• Scenoking, au Scenobar, 6, rue Victor-Letalle, Paris XXe

• Le Secret, au Truc du Père Lachaise, 17, rue Fernand-Léger, Paris XXe

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