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EXCLU · « Adomination » : Jardin transcende la violence dans un film halluciné de Camille Degeye

  • Quentin Grosset
  • 2023-12-05

Ode visionnaire aux métamorphoses, aux renaissances et aux réédifications, « Adomination », le nouveau projet fou de Jardin (« Exode ») en collaboration avec la cinéaste Camille Degeye (« Almost A Kiss »), réunit deux de ses nouveaux titres obsédants, « Atlantique » et « Honte ».  Dans une ruine blême et bétonnée, vestige d’un monde fissuré par la violence, on y voit s’ouvrir un cocon doré, suintant, martial, une créature fantastique imaginée par la sculptrice Brigitte Lajoinie. Autour, des jeunes gens s’agitent, comme invoquant une bascule, un bouleversement. Jardin, qui incarne ce renouveau avec éclat, nous confie ce film musical pour sa première. Rencontre.

Comment est venue cette image d’un monde en friche, a priori abandonné, où l’on voit s’éveiller une créature à forme humaine, comme si elle sortait de sa chrysalide ?

Au départ, il y a ce diptyque musical coproduit avec Hørd et Loïc Lachaize, qui traverse des situations de violence, des états corporels et intérieurs, des expériences assez fortes. Avec la poétesse et performeuse Louna Mollon [aka Sexy Tanga, autrice des pièces Rêveuses héritières ou Brave Puppy, ndlr] on a rencontré cette sculptrice, Brigitte Lajoinie, dans une petite vallée encaissée, dans la banlieue de Pau, dans les côteaux de Jurançon – ça ressemble beaucoup à l’univers du film. Brigitte est une artiste née en 1955 qui a travaillé sur cette série de dix sculptures, elle met un an à les créer chacune.

Tous les jours, comme une ouvrière, elle fait huit à dix heures d’atelier, qu’il pleuve, qu’il vente. C’est saisissant. Pendant nos discussions, elle a dit quelque chose qui m’a interpellée : « Je suis une petite main de la violence. » C’est là qu’est venue l’idée de réunir ces deux morceaux autour de son travail et d’un poème de Louna. Camille Degeye a fait le choix de créer une narration complexe, ouverte, entre les deux morceaux, en y amenant la thématique de l’adolescence. On a tourné dans un orphelinat abandonné. Ça replace la question de la honte à l’endroit de cette période, du milieu scolaire aussi.

D’où le titre du film, Adomination, qui peut aussi porter cette notion d’adolescence ?

Pour moi c’est plutôt « A-domination », le préfixe signifiant l’absence, la négation.

Adomination est percé de références cinématographiques – Atlantique de Mati Diop, Punishment Park de Peter Watkins... Comment ces films vous ont éclairé ?

Atlantique, ça a renouvelé pour moi la question du film de genre sur un plan poétique. Il y a beaucoup de poésie dans l’aporie, le peu de moyen pour évoquer les fantômes, la question migratoire. C’est beau, très puissant… J’ai vu Punishment Park assez tôt, c’est une référence de ma préadolescence. Sa manière de parler du spectacle de la souffrance me semble très actuelle.

L’idée d’un éveil, d’une aube que l’on retrouve dans Adomination tranche avec le paysage de violences que tu dépeins dans le morceau « Atlantique ».  Dans « Honte », sur un plan plus intime, il est question de remiser la honte, de faire une croix sur un passé douloureux.

Dans le mouvement du film, il y a la notion de changement, une transformation qui s’opère, un déplacement en profondeur. Cette société anxieuse dopée aux produits pharmaceutiques ou toxicologiques, on la regarde à une échelle globale, politique, tout en la reliant aux peurs les plus intimes. Il y a cette violence qui conditionne notre chair, puis tout ce travail de s’en affranchir, de s’en délester, d’aller vers d’autres horizons.

"Exode", l'entêtante épopée cosmique de Selim Bentounes et Jardin

Vu au festival de Clermont-Ferrand : "Almost A Kiss" de Camille Degeye

Comment cela se relie à ton appartenance à la Church of Euthanasia, ce culte et happening cofondé en 1992 par l’artiste Chris Korda pour alerter sur la crise climatique en prêchant de manière drôle et outrageante la non-procréation, l’avortement, le cannibalisme et le suicide ? Également à cette perspective que tu portes du « Oui futur » - par opposition au « No future » ?

Dans la Church of Euthanasia, il y a un discours qui a changé ces dernières années. Dans les années 1990, c’était un discours très anti-humain. Elle dit aujourd’hui que la Church Of Euthanasia est dans une période post-anti-humaine. La question du « Oui futur » que j’affiche depuis un moment, c’est toute mon interrogation sur ce qu’on fait autour de soi pour retrouver la force de construire de l’espoir, d’esquisser des horizons vertueux, ou désirables.

Le lien que je fais avec la Church of Euthanasia, c’est que notre espèce peut éventuellement détruire un maximum sur cette planète et s’éteindre, la vie ne s’arrêtera pas pour autant. Pour moi, là-dedans, il y a une forme d’espoir. Sur le plan personnel, j’ai justement fait le choix de quitter la vie urbaine pour éprouver la puissance de la vie en soi, qui est beaucoup plus vaste que notre mode de pensée, que notre façon de l’exercer en tant que société humaine. Je pense qu’il y a des humain.es qui réussiront à trouver des manières de vivre, quoi qu’il arrive.

Lien d'écoute

Adomination (Cultural Workers)

Parution du maxi-vinyle 45 tours en décembre 2023

Jardin sortira son 4eme LP en 2024

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