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Clermont Ferrand 2024 : 5 cinéastes à suivre
- Josephine Leroy
- 2024-02-09
On repart du génial et foisonnant festival du court métrage de Clermont-Ferrand, avec dans notre sac à dos une longue liste de nouveaux talents. On en a sélectionné cinq, dont on vous présente brièvement les profils mais surtout les merveilleux films.
Fatima Kaci, réalisatrice de La Voix des autres (30’’)
Avec ce film de fin d’études, la cinéaste trentenaire, qui est sortie diplômée du département réalisation de la Fémis et prépare actuellement son premier long métrage, nous a tapé dans l’œil. Elle y suit Rim (géniale Amira Chebli), une femme d’origine tunisienne qui travaille en France comme interprète, dans le cadre des procédures de demande d’asile. Sa mission est de traduire en toute neutralité les histoires de ces femmes et de ces hommes ayant quitté leurs pays d’origine (le Soudan, la Syrie…) à contre-cœur.
Réflexion sur la transmission, l’impossibilité de retranscrire dans des documents administratifs secs et froids toute la douleur de l’exil, l’implacabilité d’un pays rétif qui prétend être une terre d’accueil ouverte, le très beau film de Fatima Kaci rappelle par sa force épurée et politique certains documentaires d’Alice Diop. Il se déploie en une série de plans fixes, de champs/contre-champs et d’échanges tranchants dans des décors froids (un bureau, une salle d’audience), puis dans des séquences plus douces, moins tendues, dans l’appartement de Rim, aux côtés de sa fille. Dans ces espaces clos, ce sont surtout les mots qu’on ne dit pas, les échos subtils entre des trajectoires de vies qui se laissent ressentir.
Titouan Ropert, réalisateur du Chant des bêtes (24’’)
Autre film de fin d’études (le cinéaste vient lui aussi de la Fémis, mais du département montage), tout autre délire. On avertit d’emblée : on a baissé les yeux face à certaines images de ce court antispéciste à la fois radical, passionnant, fulgurant. Le synopsis : un journaliste des pages « sport » de Libé reçoit un jour le courrier d’un ouvrier d’abattoir dépressif et suicidaire habitant le Finistère, tourmenté par des années torture envers les animaux. En plus de la lettre, il a joint une clé USB contenant des vidéos, qui témoignent de la sauvagerie du processus, entre coups et étourdissements – un massacre bien ordonné que le journaliste cherche à tout prix à documenter dans le cadre d’une grande enquête.
« Quand on tue un porc toutes les dix secondes, il ne faut pas réfléchir », écrit l’ouvrier avant de se donner la mort. Dans cette fiction contenant une bonne part de matière documentaire (des archives tirées de L214), le montage est haché, la caméra DV apporte un côté brut à cette enquête à la mise en scène nerveuse. Des effets de surimpression et de quadrillage viennent mettre un léger voile sur des images d’une violence rare, mais jamais gratuite. Enfin, ce leitmotiv visuel et lévinassien : filmé en gros plan, l’œil d’un cochon, si semblable à celui d’un humain qu’on frissonne à sa simple vision.
Lucas Malbrun, réalisateur de Margarethe 89 (18’’)
Artiste, monteur et réalisateur franco-allemand (il est né à Munich et vit à Paris), Lucas Malbrun, 34 ans et diplômé de l’EnsAD, signe avec Margarethe 89 un sublime court animé, porté par une héroïne rebelle aux cheveux courts et violets, vivant dans l’ancienne RDA. Membre d’une communauté punk de Leipzig, celle-ci est internée à cause de cet engagement dissident dans un hôpital psychiatrique. Elle tente de s’enfuir pour retrouver son amant, un chanteur.
Frondeur, mélancolique, fiévreux, le film regorge d’idées inventives pour parler de cette société est-allemande fragmentée, à la veille de la réunification. On pense à la texture particulière des peaux, qui se craquèlent et forment comme des territoires, séparés par des frontières. Ou les traits précis de crayons-feutres et les couleurs douces, qui contrastent avec la violence exercée par la Stasi vis-à-vis des opposants politiques (surveillance généralisée, domination des corps par la punition, enfermement ou soins médicaux forcés). L’idée de cassure, qu’elle soit palpable ou symbolique, irrigue ce fabuleux film historique, qui prouve encore une fois toute la vitalité de l’animation française contemporaine.
Atsushi Hirai, réalisateur d’Oyu (20’’)
Direction le Japon, et plus précisément la petite ville de Toyama, dont le cinéaste Atsushi Hirai est originaire et à qui il a déjà consacré son premier court (Retour à Toyama) en 2021. Installé en France depuis quelques années, ce dernier a travaillé comme assistant réalisateur de Damien Manivel.
Dans Oyu, il filme un homme venu récupérer un objet oublié au bain public. Le soir et la neige tombent sur la ville, c’est le dernier jour de l’année : il décide d’en profiter pour prendre un bain. Au milieu d’hommes nus, à travers les reflets de miroirs, les corps (tatoués, lisses ; jeunes ou vieillissants) luisent, le savon mousse et la vapeur s’échappe au rythme des confidences. Le tout ressemble à une rêverie, qui s’étire en spleen dans des extérieurs panoramiques, vides et refroidis, dès la sortie du bain. Avec une grande sensibilité, Atsushi Hirai donne à ce nouvel an un côté anti-spectaculaire, contemplatif et pourtant fascinant de bout en bout. On a hâte de voir ses prochaines résolutions se réaliser à l’écran.
Avril Besson, réalisatrice de Queen size (19’’)
À Paris, Marina (Raya Martigny) doit astiquer et vider son appart. Elle part le soir même à la Réunion, où vit sa famille. Une acheteuse, Charlie (India Hair), lui rend visite pour récupérer son matelas (le fameux « Queen size » du titre). Marina se propose de l’aider à le porter jusqu’à chez elle…
Sur les côtes escarpées de la butte Montmartre, les corps suent autant que les langues se délient. Avril Besson, diplômée du département montage de la Fémis, signe une comédie qui tire parfois vers la mélancolie (en abordant le deuil, la précarité) sans en être alourdie. Le film réutilise un ressort burlesque classique (le contraste physique entre les deux héroïnes, l’une étant plus sûre d’elle, élancée, brune ; l’autre blonde, maladroite, avec une allure enfantine). Au-delà de ce jeu se dessine en creux une critique de ce que la société contemporaine exige de nous (adaptabilité, productivité, efficacité). Avec ses dialogues drôles et justes, sa façon de flirter avec la romcom cheesy, la cinéaste impose un autre rythme. Une autre perspective aussi – elle multiplie les plans en plongée sur les silhouettes assises ou allongées, et nous laisse aussi apaisé qu’après une sieste dans un lit douillet.
Photo de couverture : Margarethe 89 de Lucas Malbrun (c) Wasia Distribution