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Claire Marin : « Être soi est toujours un travail. On ne se vit pas soi-même dans la facilité »

  • Joséphine Dumoulin
  • 2022-03-14

Invitée du mk2 Institut, la philosophe Claire Marin publie aux Éditions de l’Observatoire « Être à sa place », un nouvel essai sur un sujet qui traverse nos vies : la question de notre place dans un monde qui tangue et ne cesse de nous déplacer.

Que signifie « être à sa place » ?

L’expression renvoie à deux notions. La première serait un état psychologique d’équilibre et de plénitude, qui reste avant tout un idéal conditionnel. La seconde renvoie à l’idée de trouver sa place parmi les autres et de faire de la place aux autres. Ce n’est plus une problématique uniquement personnelle. Et là repose la difficulté : être à sa place demande de conjuguer ses désirs avec ceux des autres, d’affirmer sa singularité et de s’insérer dans la société.

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D’où vient ce désir de trouver sa place ?

Il correspond souvent à une représentation idéalisée d’un sentiment de sécurité et de confort éprouvé durant l’enfance. Il est une sorte de réminiscence archaïque d’un moment fusionnel. C’est aussi une construction culturelle. Les fables et les contes présentent leur cabane, leur cocon ou leur cachette comme un idéal, une unité perdue qu’on essaye ensuite de reconstituer. Mais la réalité est qu’il faut un effort constant pour essayer de vivre de manière unifiée. Biologiquement d’une part, parce que nous sommes des êtres vivants, que nous ne cessons de nous détruire et de nous reconstituer. Socialement d’autre part, car être soi est toujours un travail, une activité. On ne se vit pas soi-même dans la facilité.

Que cherche-t-on lorsque l’on souhaite « être à sa place » ?

On affirme sa singularité, sa valeur, on cherche la reconnaissance. Mais le prix à payer pour cette conquête, qu’elle soit sociale, géographique, affective, peut être la perte, une perte nécessaire dans un processus qui nous déplace. On peut perdre des liens, trahir, se montrer déloyal – rompre avec quelqu’un, changer de pays, ne pas être compris par ses amis ou sa famille, comme c’est le cas des transclasses par exemple. Je crois qu’il nous faut accepter qu’en réalité nos places sont toujours remises en jeu. Pour garder chacune d’elles, nous devons maintenir une activité, ne pas tomber dans l’illusion selon laquelle elles sont nécessairement acquises ou confortables. Et ce même quand nous avons beaucoup œuvré pour les conquérir. On ne peut jamais totalement s’installer dans la passivité, sauf si l’on veut qu’elles soient une sorte de piège qui se referme sur nous, une forme d’assignation dont nous sommes victimes ou complices. C’est ce qui arrive quand on considère que les efforts à fournir sont trop grands pour faire reconnaître notre légitimité dans une place correspondant moins à notre milieu social d’origine ou à notre genre.

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Si les places sont provisoires et mouvantes, pour être au plus près de ce que nous sommes, on peut aussi souhaiter trouver un ancrage.

Oui, à la différence de la place, plutôt définie par des éléments objectifs (un métier, une situation conjugale, etc.), l’ancrage, plus personnel, est une sorte de place en soi. Trouver cet ancrage, c’est identifier des activités, des manières d’être, des liens fondamentaux qui nous permettent de nous relier au monde et sans lesquels nous nous sentons flottants ou déséquilibrés. Annie Ernaux en parle lorsqu’elle évoque l’écriture comme la création d’un vrai lieu. Il s’agit de trouver ses vraies dimensions, son lieu, et c’est une question à laquelle on ne peut pas répondre pour les autres : je le retrouve dans l’écriture et l’enseignement de la philosophie, mais d’autres le trouveront dans le fait de devenir parent ou de faire tel ou tel métier.

Cette recherche d’une place à soi peut-elle passer par le corps ?

Oui, car « être à sa place » est avant tout une expérience physique. Prenez le simple exemple de la voix : je suis à ma place quand celle-ci est posée, non étouffée par les voix dominantes. Cela peut commencer par cette libération d’une voix propre, une voix qui dit aussi une subjectivité sur le monde.

Dans quelle mesure ce corps qui permet d’« être à sa place » peut-il aussi être déplacé ?

Le corps féminin, principalement, pose cette question. Il est biologiquement défini par le fait de devenir une place pour l’autre lors de la grossesse et lors des premières années de l’enfant. Durant neuf mois, le corps fait place à de l’autre en soi. Il va ensuite porter, déplacer, parfois allaiter le corps d’autrui. Cet empiètement du corps dans la maternité se retrouve également dans l’expérience de la féminité. Il est lié à ce qu’on attend de lui en matière de beauté et d’injonctions sociales, mais aussi dans les violences gynécologiques et obstétricales.

Au mieux, le corps féminin fait l’objet d’une méconnaissance – comme cela a été le cas avec l’endométriose, détectée tardivement car l’on pensait que les femmes étaient hypersensibles à la douleur –, et, au pire, d’une forme de maltraitance. Enfin, cet empiètement se retrouve dans une forme de débordement psychique qui dépasse le concept de charge mentale souvent évoqué dans le débat public. Les femmes se doivent d’anticiper les manques – faire les courses, acheter des nouveaux vêtements pour les enfants… Elles permettent la fluidité du quotidien, la continuité du réel. Comme le disait Marguerite Duras, elles assurent la durée. Elles se déplacent et sont déplacées.

« Trouver sa place » : Rencontre avec Claire Marin, le 15 mars au mk2 Bibliothèque, à 20 h

tarif : 15 € | étudiant, demandeur d’emploi : 9 € | – 27 ans : 4,90 € | carte UGC/mk2 illimité à présenter en caisse : 9 € | tarif séance avec livre : 18 €

Être à sa place de Claire Marin (Éditions de l’Observatoire, 18 €)

Portrait (c) Céline Nieszamer

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