« Sleep » de Jason Yu : chambre froide

Connait-on réellement la personne avec qui l’on partage son lit ? En prenant le somnambulisme comme sujet, matière à divers fantasmes, Sleep pose ainsi la question. D’entrée, dans une première séquence formellement éblouissante, la pathologie vient perturber le quotidien qu’on devine alors parfaitement aligné d’un couple de jeunes mariés follement amoureux (Yu-mi Jeong et Sun-kyun Lee). Dès lors, chaque nuit sera le lieu d’une nouvelle insomnie du mari et d’une gradation dans l’étrangeté et l’effroi…

Si Sleep convoque le motif de la dualité et de l’étrange pour mieux disséquer la question de la conjugalité, ici envisagée comme une mise à l’épreuve permanente garante d’un amour et d’une confiance renforcés, le premier long métrage de Jason Yu recèle, dans son inconscient de film, une lecture hautement féministe.

Dès lors que le mari se met à bouger et à se lever dans son sommeil, la femme, elle, ne dort plus. Eveillée, elle devient la potentielle cible de cet homme qu’elle ne connait plus. C’est alors que tout son quotidien se met à s’organiser autour de cette peur et de ces nombreuses insomnies. Quelque chose de ce que représente la charge mentale féminine vient alors s’incarner dans l’intranquilité de ce personnage face à la mollesse du mari ronflant, aveuglé par son sommeil.

Plus encore, Sleep pousse davantage la réflexion en faisant du lieu de son action, la chambre à coucher et son intimité préservée, invisible aux yeux des autres (sauf aux nôtres, voyeurs), un potentiel lieu du crime, comme pour nous dire qu’il n’y a pas de plus grand risque pour une femme que d’avoir un mari.

Sleep de Jason Yu, The Jokers (1h35), sortie le 21 février