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Cannes 2023 · « La Passion de Dodin Bouffant » de Trần Anh Hùng : pot-au-feu tout flamme
- Perrins Quennesson
- 2023-05-30
23 ans que le réalisateur franco-vietnamien n’avait pas mis les pieds à Cannes. Avec cette histoire balzacienne, Trần Anh Hùng filme les bouleversants Benoit Magimel et Juliette Binoche dans un récit d’amour, de pudeur et de food porn tendre qui a raflé le prix de la mise en scène.
Le film s’ouvre sur une longue séquence de 20 minutes, presque muette, où Juliette Binoche, Benoît Magimel, Galatea Bellugi et la toute jeune Bonnie Chagneau-Ravoire préparent un déjeuner aux mets multiples, tous aussi raffinés les uns que les autres. On assiste, captivés, à ce ballet de casseroles, de préparations, de réductions, de cuissons, de découpes, d’assaisonnements et de flambages. C’est un supplice pour toute personne qui n’aurait pas mangé avant d’entrer dans la salle, pour les fans de Top Chef, c’est un mercredi soir comme un autre. Mais en mieux filmé. Trần Anh Hùng (L’Odeur de la papaye verte) balade avec fluidité et gourmandise sa caméra, s’attarde sur le visage concentré de Juliette Binoche pour mieux contempler celui, satisfait, de Benoit Magimel.
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Lire l'articleLe film adapte, un peu librement, le roman de 1920 de Marcel Rouff, où l’on suit Dodin Bouffant, un magistrat retraité et fin gourmet, qui, dans sa maison du centre de la France, voue son quotidien à la bonne chère qu’il travaille sans relâche avec passion et patience. Dans sa quête d’un idéal culinaire, il est accompagné depuis plus de 20 ans de sa cuisinière, Eugénie, devenue sa pas si secrète amante, qui, comme lui, a le don du bon goût et l’intuition nécessaire pour donner une réalité à ce qu’il a en tête. Sur un petit air balzacien par son sens du détail et l’éloge de la vie provinciale, La Passion de Dodin Bouffant (le titre anglais, aux petits oignons, est The Pot-au-feu) ne quitte presque jamais cette cuisine où le geste dit plus que les mots. Le fameux « art de vivre français » y est porté à son paroxysme, chaque repas épicurien est un régal pour les yeux et la bouche mais aussi pour l’esprit car seules les conversations érudites ont leur place autour de la table. Une célébration des plaisirs de la gastronomie qui agit comme une métaphore du caractère de son personnage central, ce « Napoléon de la cuisine » comme il est surnommé. La patience, la tendresse, la précision, la curiosité que Dodin porte à la nourriture sont les mêmes que celles qu’il donne aussi bien à ses amis fidèles, ses quatre mousquetaires gastronomes de toujours, qu’à la jeune voisine dont il devine le talent inné pour la chose culinaire.
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Lire l'interviewMais surtout, cette cuisine attentionnée est un langage, celui de l’amour que partage ce couple - qui n’en est pas vraiment un - « à l’automne de leur vie ». Dodin est fou d’Eugénie et souhaite l’épouser. Eugénie aime Dodin et l’admire mais ne peut se résoudre à abandonner sa liberté. Chaque préparation de plat sonne alors comme une déclaration d’amour aussi farouche qu’un baiser à pleine bouche, chaque minutieux ficelage de volaille devient une séance de préliminaires sensuels à l’érotisme incandescent car chaste, chaque bouchée l’occasion d’un orgasme des sens. A l’instar d’un met étoilé, ce long métrage radical et généreux se déguste et se ressent pour devenir une véritable expérience sensorielle. Filmé comme si Edouard Manet et Auguste Renoir avaient joint leur force à celles de François Desportes, le film s’écoule à un rythme lent mais sûr où chaque enjeu, qu’il s’agisse de remettre un Prince trop prétentieux à sa place à coup de pot-au-feu parfait ou de réussir à demander la main de celle qui nous la refuse, intrigue, attise et étreint le cœur.