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OLDIES · « Arizona Junior » des frères Coen : le baby-blues de l’Amérique  

  • Léa André-Sarreau
  • 2023-03-15

Cartoonesque, absurde, le deuxième film des frères Coen dessine, derrière une rocambolesque histoire de kidnapping, une ode tendre aux perdants, seuls capables d’ébranler l’ordre du monde.  

Joel et Ethan Coen ont-ils toujours été les sales gosses d’Hollywood, industrie autant célébrée avec amour (Ave, César !) que raillée sans vergogne dans leur cinéma (on pense au Grand Saut, parodie de Mr. Smith au Sénat de Capra et de son message humaniste) ? A voir leur deuxième long métrage, pas de doute : en 1987, le duo aimait déjà les écarts de conduite.  

H.I, le héros d’Arizona Junior, est un anticonformiste, un petit voyou multirécidiviste (Nicolas Cage, tout en grimaces qui feront de lui un mème vivant des années plus tard) qui, lors de ses nombreux passages en cabane, tombe fou amoureux d’Edwina, une policière au cœur brisé (Holly Hunter). Voilà notre couple de gentils désaxés pris d’une fièvre parentale. Mais comme souvent chez les frères Coen, le hasard fait mal les choses : Edwina est stérile. A tout problème sa solution. Ils voleront le bambin angélique d’un riche vendeur de meubles, dont la femme vient d’accoucher de quintuplés. Sauf que deux taulards sortis des égouts (John Goodman et William Forsythe, délicieusement beaufs) et un tueur hirsute façon Mad Max (l’ancien boxeur Randall Craig Cobb) se lancent à la recherche du môme pour empocher la récompense… 

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On l’aura compris à son pitch déluré : Arizona Junior est une joyeuse contrefaçon de tout ce que le cinéma américain fait de mieux (ou de pire), redigéré au prisme de la parodie (ou du pastiche, impossible de trancher). Ici, une course-poursuite à la Tex Avery rappelle les grandes heures du cartoon, avec ses accélérations improbables, ses caméras-subjectives déstabilisantes. Ailleurs, des cascades loufoques – on se cogne, on chute, mais personne ne meurt jamais, comme si la peau était du caoutchouc – évoquent les chorégraphies de la screwball comedy. On n’oublie pas, au passage, de tacler le western et ses grandes ambitions territoriales, avec des plans qui mordent littéralement la poussière. Le road-movie, dont le spectre est convoqué à travers des carcasses de bolides plus très rapides, en prend aussi pour son grade.  

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Le film fait office de laboratoire pour ces deux jeunes cinéastes fous que sont les frères Coen, friands de caricatures outrancières, de divagations narratives, d’angles de prise de vue étranges (il suffit d’une contre-plongée insolite sur l’arrière d’une voiture pour menacer la normalité du monde), tout aussi transgressives que le comportement déviant des personnages.  

Car Arizona Junior marque la naissance d’un style, mais surtout d’un manifeste éthique, qui consiste à regarder droit dans les yeux les rêves perdus (et tordus) de l’Amérique profonde. H.I et Edwina ne sont pas des monstres apathiques – d’ailleurs ils ne cessent de s’interroger sur le bien et le mal – mais l’incarnation d’une middle class moribonde à qui on a vendu le conformisme comme bonheur ultime, à coups de spots publicitaires. Leur kidnapping, geste fou, presque punk, en fait des anarchistes. Au point que l’on se demande si le chaos qu’ils provoquent n’est pas l’apocalypse salvatrice, celle qu’il fallait pour s’enfuir du triste cauchemar qu’est l’american way of life.  

Arizona Junior de Joel et Ethan Coen, 1h34, Ciné Sorbonne, ressortie le 15 mars 

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