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ENTRETIEN: Agnès Varda et JR

  • Quentin Grosset
  • 2017-06-25

En voyant Visages villages, j’ai beaucoup pensé à Mur murs (1980), documentaire d’Agnès sur les murals de Los Angeles dans lequel il était question d’images monumentales peintes dans la ville.
JR: Quand j’ai découvert le film, j’ai tout de suite senti un écho incroyable avec mon travail. Agnès filmait des gens qui n’avaient pas la parole et qui peignaient de grandes fresques sur les murs. Ce qui est sûr, c’est qu’avec notre documentaire on est dans la continuité. Sauf que, là, c’est nous qui murmurons aux murs les messages des gens qu’on a pu rencontrer durant notre périple.
Agnès Varda : Là, on a été dans les villages, et c’est un film murmurant, parce qu’on a voulu parler à voix discrète avec des gens discrets.
JR: Amen.

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Agnès, avant de connaître JR, vous vous intéressiez à l’actualité du street art ?
A. V. : Dans les années 1980, à Los Angeles, les muralistes peignaient pour tout le monde, c’était gratuit. Ça a perdu son côté spontané, lié à la ville. Je regrette que cette forme d’art ait été récupérée par les galeries, les musées. (S’adressant à JR.) Toi, c’est différent, tu as contribué à faire passer le message des collages collectifs gratuits ; et, petit à petit, tu as donné un vrai sens à ton travail d’artiste. Ça a vraiment commencé quand vous avez affiché de grands portraits d’Israéliens et de Palestiniens des deux côtés du mur qui les sépare.
JR : Dès mes premiers grands collages dans la cité des Bosquets, au cœur des émeutes de 2005, mon travail a pris une tournure politique. C’est là que j’ai vraiment compris l’impact de l’image.
A.V.: Bon, revenons à notre aventure… On s’est bien occupés des gens. Là où ils vivaient.
JR : On a choisi de les mettre en valeur, toi en les écoutant, moi en agrandissant leur portrait.
A. V. : On a aimé ce projet qu’on réalisait de bonne humeur.

Comment vous vous êtes connus ?
A. V. : Rosalie a dit : « Il faut que vous vous rencontriez. » Elle a téléphoné à JR. Il est venu chez moi ; le lendemain, je suis allée chez lui; et après c’était parti.
JR : C’était pas sur un site de rencontres.
A. V. : J’aurais bien aimé, mais j’y connais rien, je n’y vais pas.

Pourquoi avez-vous choisi de ne rencontrer presque que des gens à la campagne et pas, par exemple, dans des cités, où l’on trouve d’autres populations que l’on entend peu ?
A. V. : Ce n’est pas compliqué. Je me suis dit : ce type, il est toujours dans des grandes villes. A deux, faisons autre chose… et hop, je l’emmène à la campagne! voir des gens différents, des paysages, des animaux…

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JR, vous qui êtes plus habitué à coller sur des surfaces en milieu urbain, ça a changé quelque chose à votre manière de travailler ?
JR:
Déjà, en tant qu’artiste, on est plus anonyme à la campagne qu’en ville. Et comme tout le monde se connaît dans les villages, je trouve que le rapport aux gens est beaucoup plus direct. Ça, pour un documentaire, c’est fantastique.
A. V. : On crée du lien. Tout le voisinage réagit quand on colle une affiche! Il faut attendre, écouter les gens, voir si ça les amuse. Au final, tout le monde a envie de participer.

Dans le film, la narration semble guidée par le hasard – ce qui est assez joli. Une rencontre peut vous amener à une autre, un paysage à un autre…
A.V.: Pas tout à fait. Il y a d’abord une intention, puis on y va, et ensuite le hasard s’en mêle.
JR: Le hasard nous amène des rencontres qui deviennent le film.
A. V. : Tout à coup, il y a des coïncidences. Moi, j’ai photographié il y a longtemps une chèvre tombée de la falaise; puis tu m’emmènes à ce bunker de  Saint-Aubin-sur-Mer qui s’est écroulé de cette même falaise, et le maire nous parle d’un petit veau qui est aussi tombé d’ici. Il y a toutes ces chutes qui se répondent. Et encore une autre qui… J’aime ces résonances dans le film.

Comment choisissiez-vous les villages où vous alliez ?
JR: Il y avait beaucoup d’endroits dont on avait entendu parler. Après, on explorait un peu autour.
A. V. : On est allé à l’usine Arkema de Saint-Auban parce que j’avais présenté un film il y a longtemps à Château-Arnoux, la ville d’à côté.
JR: A priori, ce n’était pas un endroit qui se prêtait à cette forme d’art; c’était trop sécurisé. On y a vu un défi face à beaucoup d’ouvriers: que faire avec eux? C’est devenu un projet.
A.V.: Sur le site, on a repéré un château d’eau. On a eu l’idée de le transformer en aquarium. Du coup on est allé photographier les poissons sur les étals d’une grande surface, pour les coller en grand, comme s’ils nageaient.

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Le point de départ du projet, c’était de rencontrer les villageois pour photographier leur visage. Vous pensez qu’on peut connaître une part du vécu de quelqu’un juste en regardant sa figure ?
A. V. : Oui, chaque visage est un paysage, un voyage, ou même simplement un élément d’une communauté. On en a photographié beaucoup, soit en direct, soit avec le camion magique. Leur vécu, ils nous en parlaient.
JR : En tout cas, moi, je me suis beaucoup intéressé aux rides des gens pour essayer de deviner leurs histoires, et c’est pour ça que j’ai bien aimé celles d’Agnès.
A. V. : Tu as joué avec mes yeux mais c’est ton habitude. Tu as collé des yeux partout dans le monde.

Est-ce que vous pourriez chacun décrire le visage de l’autre ?
JR: Mmm… le visage d’Agnès… qu’est-ce que je pourrais dire ?
A. V. : Attention, hein ?!
JR : Elle a des jolies petites joues qui dessinent son visage et son sourire. Quand je fais des photos d’elle, elle a plutôt le petit regard qu’on voit là tout de suite, foudroyant.
A. V. : Je n’ai pas toujours envie de sourire !
JR: Je n’ai jamais vu un visage qui était autant en harmonie avec une voix.
A. V. : À mon tour. Moi, ce qui m’amuse, c’est que tu as d’abord un masque, un costume sur ton visage, puisque tu gardes toujours tes lunettes noires et ton chapeau. Donc c’est en même temps intimidant, et agaçant – un peu. Pourtant, je connais tes yeux. Enlève tes lunettes pour Quentin… Voilà, comme ça… Ce sont des beaux yeux, très ouverts, très curieux. Mais dès que tu sens qu’une caméra s’approche, tu remets ton costume. De voir des yeux qui ont un costume, ça m’impressionne.
JR : Même en voyant flou ?
A. V. : Je vois flou, mais je te vois quand même! Souvent, ton œil s’allume, et là je sais que tu vas m’envoyer une pique: que je suis trop petite; que je suis trop vieille. C’est toujours annoncé, comme un clignotant.

Vous dîtes que vous trouvez une ressemblance entre JR et Jean-Luc Godard que vous aviez filmé dans une fameuse séquence de Cléo de 5 à 7 (1962) intitulée « Les Fiancés du pont Mac Donald ou (Méfiez-vous des lunettes noires) ».
A. V. : Godard avait lui aussi toujours ses lunettes vissées sur la tête, surtout dans sa jeunesse. Dans ce petit court métrage, j’avais imaginé une histoire dans laquelle il finissait par les enlever. Du coup, je me suis demandé: si je suis arrivée à filmer les yeux de Godard pendant quatre secondes, vais-je y parvenir avec JR.? Ça devient une sorte de jeu dans le film, une pirouette.
JR : Une pirouette qui nous a amenés sur un sacré chemin quand même !
A. V. : C’était du pas sérieux, et à la fin du film c’est différent.
JR : Oui, ça nous a amenés une journée en Suisse pour rendre visite à Godard.
A. V. : Ce jour-là, Mathieu Demy (mon fils, mon bel enfant) nous accompagnait, et il a fait deuxième caméra.
JR : Il a fait les plans de toi les plus fins, les plus sensibles, les plus tristes… les plans les plus émouvants de cette séquence, et même du film. C’est lui qui s’est approché de toi. Personne d’autre n’aurait pu faire ce mouvement de caméra.
A. V. : Ça m’a beaucoup touchée quand au montage, après coup, j’ai découvert que c’était Mathieu qui avait capté ce moment où j’étais en désarroi. Ce que j’ai ressenti au moment où on tournait ces images, c’était mélangé, complexe. C’est toute mon attitude dans ce film, avec JR, ce jeune homme aux lunettes noires. Je m’amuse beaucoup et, en même temps, je suis un peu touchée qu’il veuille bien être mon compagnon de route. On a quand même cinquante-cinq ans d’écart!

« Visages villages »
d’Agnès Varda et JR
Le Pacte (1 h 29)
Sortie le 28 juin

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