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5 oeuvres rares sur les violences policières

  • Léa André-Sarreau
  • 2020-10-01

Retour, à travers cinq films méconnus, expérimentaux et rares, sur ces réalisateurs et réalisatrices qui se sont emparés avec force de la question des bavures et des violences policières commises aux États-Unis et en France. 

Cet article fait partie de notre dossier Quand l’art se saisit des violences policières. À l’occasion de la sortie du documentaire Un pays qui se tient sage de David Dufresne, TROISCOULEURS s’intéresse à la manière dont le monde de l’art traite du sujet des violences policières. Interviews, décryptages, focus sur des œuvres incontournables ou rares…Retrouvez tous les articles du dossier en cliquant ici.

I Am Somebody de Madeline Anderson (1970)

1969, Charleston, Caroline du Sud. En plein mouvement afro-américain des droits civiques, Madeline Anderson, pionnière du cinéma documentaire, capture la grève et l’emprisonnement par les forces de police de 400 membres du personnel hospitalier noir du Medical College. Parmi ce soulèvement collectif, la réalisatrice se focalise sur le combat de douze femmes pour la reconnaissance de leur syndicat et l’égalité des salaires, capturant avec fébrilité leur manifestation dans les rues.

Avec cette oeuvre en forme de diaporama instantané, dans laquelle les images d’archives se tissent progressivement aux interviews prises sur le vif, Madeline Anderson pose les jalons d’une éthique documentaire moderne. Il ne s’agit pas d’analyser, mais de saisir l’Histoire en train de se faire, en évitant tout reconstitution qui nuirait à la spontanéité du geste militant. Si I Am Somebody est précieux, c’est aussi parce que Madeline Anderson y démontre, avec un didactisme limpide et précurseur, que le genre doit être pensé en relation avec la domination sociale, politique et ethnique – posant les bases du féminisme intersectionnel.

41 Shots de Sherry Miller et Ernest Larsen (2000)

41. C’est le nombre de coups de feu asséné par quatre policiers en civil sur Amadou Diallo, immigré guinéen de 23 ans, en 1999, dans les rues de New-York. C’est aussi le leit-motiv de cet essai-vidéo expérimental des artistes et écrivains Sherry Miller et Ernest Larsen, qui ont choisi de reconstituer métaphoriquement la bavure policière grâce à un montage d’images hétéroclites, pour signifier la violence sourde de ce fait divers qui ébranla les esprits en 1999.

Sorte de poème morbide fonctionnant par rimes visuelles, le film multiplie les évocations au drame sans le nommer (la scène de crime matérialisée par les contours du corps tracés à la craie), cartographie les lieux de l’événement pour disséquer l’horreur, fait surgir en gros plan des bribes de rapports de police d’où surgissent des mots-manifestes tels que « déshumanisation », « injustice »…Un collage mental qui plonge le spectateur dans une synesthésie violente, heurté par le son des gyrophares des voitures en vadrouille. Jusqu’à ce que s’élève, comme une rumeur révoltée, les slogans de la foule réclamant justice.

41 SHOTS from Miilner & Larsen on Vimeo.

La Disette du Corbeau de Hamé (2009) 

En 2009, suite à l’affaire Joachim Gatti (le réalisateur avait porté plainte contre la BAC après avoir perdu un oeil lors d’une manifestation, et suite à un tir de flashball), 40 réalisateurs participent à un film collectif intitulé Outrage et rébellion, diffusé sur le site de Mediapart. Parmi eux, le rappeur Hamé, membre du groupe de rap La Rumeur très impliqué dans le comité Adama, propose ce ciné-tract au dispositif percutant.

Plutôt que de porter son regard sur les oppresseurs, qu’il laisse dans l’indifférence du hors champ, Hamé offre une sépulture aux victimes, en faisant défiler leur visage, nom, âge, et date de décès. De Malik Oussekine, battu à mort à Paris en 1986, à Réda Semmoudi, défenestré en 2008, ces identités forment un cimetière collectif dont la vocation est de pallier le silence et le déni des autorités, de redonner une existence à ces morts, souvent noyés dans l’anonymat par les médias. Et les images d’un corbeau funeste surplombant les tours de la cité, intercalées à ces hommages, viennent nous rappeler que la menace des bavures policières plane toujours.

Police, violence illégitime de Marc Ball (2018) 

Comment s’installe progressivement la méfiance entre les forces de l’ordre et la population? Comment un contrôle d’identité dérape-t-il en émeute ? C’est à ce basculement invisible et dangereux que s’intéresse Marc Ball dans ce documentaire, prenant pour point de départ la plainte collective de dix-huit mineurs contre une brigade du 12e arrondissement parisien en 2015 pour agressions verbales, physiques et arrestations arbitraires.

Afin de saisir les mécanismes de ce dialogue rompu, Marc Ball, loin d’imposer un tribunal manichéen, opte pour une chronique quotidienne, dans laquelle chacun exprime ses rancoeurs. Alors que des représentants de l’ordre expliquent qu’une politique du chiffre pèse sur eux et les incite à des verbalisations récurrentes (« Plus on fait de gardes à vue, mieux c’est en termes de statistiques « ), des jeunes dénoncent un recours abusif aux interpellations. Au milieu de ce flot de témoignages, avocats et éducateurs sociaux organisent un espace d’échange, au cours duquel se déconstruisent les amalgames pour que chacun puisse cheminer vers ce constat : « Ce n’est pas parce qu’on est arabe, noir, jeune qu’on est forcément un délinquant en puissance. Ou parce qu’on est policier qu’on est forcément raciste ou facho ». 

Le film est disponible juste ici.

Montre oeil, Mon oeil de Gérard Courant (2009) 

Parmi les projets du film collectif Outrage et Rebellion (initié par l’historienne du cinéma Nicole Brenez et la monteuse Nathalie Hubert pour dénoncer l’« arbitraire opaque » de la police suite à l’affaire Joachim Gatti), ce film est sans doute l’un des plus percutants. Hommage aux Ciné-tracts tournés durant Mai 68, il se compose uniquement d’images fixes qui alternent des photographies des manifestations des 8 et 13 juillet 2009 à Montreuil-sous-bois, avec des plans de la bande-dessinée de Damien Roudeau, dessinateur qui captait alors à l’époque sur le vif les événements. Des images de flash-ball, martelés comme des slogans abrutissants, viennent s’y insérer, ainsi que des affiches détournées montrant Nicolas Sarkozy, président de la République à l’époque.

À LIRE AUSSI : Nicole Brenez : « La colère était immense, il s’agissait d’un passage à l’acte collectif »

Résultat : ce court-métrage fait l’effet d’un collage épileptique avant-gardiste, qui retranscrit la confusion, le désordre des interventions policières, le trouble qu’elle sème dans les esprits et dans les corps. Au détour d’un dessin sanguinolent et horrifique, d’un tag contestataire dessiné sur les murs de la ville, d’un article de journal exposant les blessés, se dessine une nouvelle géographie, celle d’une terreur collective et citoyenne face à ceux qui abusent de leur pouvoir. Et c’est ce mot martelé par la chanteuse Élisa Point qui reste sur les lèvres : « Dégueulasse« .

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