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David Chavalarias : « Les nouvelles technologies ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi. Ce qui est problématique, c’est la manière dont les gens se les approprient »

  • Joséphine Dumoulin
  • 2022-04-12

Chercheur au CNRS, David Chavalarias est invité du mk2 Institut durant l’entre-deux tours pour analyser la présidentielle avec Clément Viktorovitch. Il publie « Toxic Data » (Flammarion), un manuel scientifique et concret pour une prise de conscience des dangers du numérique et de son influence sur nos vies et nos démocraties.

En quoi les Big Tech (Google, Apple, Facebook, Amazon) menacent-elles la démocratie ?

Ces entreprises déploient des infrastructures numériques toutes librement basées sur la vente de nos données. Elles peuvent ainsi nous vendre du Coca-Cola, des vêtements, mais aussi vendre nos opinions aux hommes politiques. Et là, le cercle vicieux commence : en ayant désormais une vision globale sur ce qui se passe dans la société, ces derniers ont plus de chance d’être élus puis de gérer la régulation de ces entreprises qui créent elles-mêmes les règles du jeu. Pendant ce temps, les citoyens, eux, n’ont pas de vision globale. Et les lois ne parviennent pas à rattraper leur retard. Elles évoluent sur une temporalité longue, quand depuis quinze-vingt ans le numérique se déploie dans des temps très courts.

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Votre livre met en avant l’émergence, grâce au numérique, d’un mouvement politique dangereux pour nos systèmes politiques, l’alt-right.

Il s’agit d’une mouvance d’extrême droite qui prend ses racines dans le suprématisme blanc américain. Elle a massivement soutenu Donald Trump et a tendance à s’internationaliser : des groupuscules nationalistes de différents pays se connectent entre eux sur Internet et se coordonnent pour faire avancer leur cause lors des élections. Leur but : créer de la confusion idéologique et pousser leurs thèmes de prédilection : la peur de l’étranger, le « grand remplacement »…

La France est-elle déjà dans le collimateur de cette alt-right ?

Oui. Par exemple, en 2017, des membres de l’alt-right ont poussé avec certains Français la candidature de Marine Le Pen. Il y a eu aussi les MacronLeaks, la fuite de mails dits compromettants sur le candidat deux jours avant le second tour. Aujourd’hui, ces comptes sont encore actifs et se déploient autour d’Éric Zemmour et de Florian Philippot. Sur le long terme, ils diffusent des fausses informations qui s’amplifient au fur et à mesure qu’on approche d’une élection. Cela peut faire basculer jusqu’à 3 ou 4 % des électeurs, ce qui est parfois suffisant pour gagner.

« Comme le personnage d’Orange mécanique à qui on induit la phobie de la Symphonie no 9 de Beethoven en le contraignant à visionner des films ultra violents avec cette musique, on peut par exemple induire la phobie d’Emmanuel Macron »

Comment le développement de ces fausses informations révèle-t-il que le numérique est une révolution industrielle, politique, mais aussi plus largement cognitive ?

Les contenus numériques, qui sont souvent de l’image et de la vidéo, proposent des arguments rationnels, mais aussi très souvent émotionnels. Eux ne relèvent pas du tout du raisonnement logique et peuvent avoir un impact dans le réel. Quand on visionne des contenus à forte valeur émotionnelle, sur TikTok par exemple, on induit des réactions émotionnelles dans le cerveau pour plus tard. Comme le personnage d’Orange mécanique à qui on induit la phobie de la Symphonie no 9 de Beethoven en le contraignant à visionner des films ultra violents avec cette musique, on peut par exemple induire la phobie d’Emmanuel Macron. Par ailleurs, on habitue le cerveau aux formats courts.

Depuis environ un an, la plupart des vidéos sur Internet sont coupées ou rendues instables avec des zooms et des dézooms. C’est une technique qui force le cerveau à être en permanence stimulé. On s’y habitue et un plan qui n’est pas intrinsèquement ennuyant le devient. Alors on zappe. Autre ruse psychologique que l’on connaît bien : le scroll infini pour éviter le FOMO [pour « fear of missing out », un acronyme traduisant l’anxiété qui pousse à rester connecté pour ne pas manquer un événement, ndlr]. Au bout d’une heure de visionnage, notre cerveau conscient n’a peut-être pas retenu grand-chose, mais le cerveau émotionnel, lui, oui. Il a ingéré une connaissance qu’il ne peut pas forcément expliciter mais qu’il peut mettre en œuvre au quotidien implicitement.

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Comment pouvons-nous nous protéger de ces évolutions technologiques ?

Évidemment, on peut avoir une politique de régulation économique beaucoup plus forte, au détriment de la libre concurrence. Mais il y aura forcément un décalage, le temps de faire voter une loi. On peut aussi mettre en place des espaces publics numériques qui répondent à nos besoins plutôt qu’à des besoins économiques. Certes, la Russie et la Chine ont nationalisé leurs réseaux sociaux pour de mauvaises raisons, mais c’est dire la dimension stratégique de cette souveraineté numérique. Celle-ci peut être gouvernée par des objectifs citoyens qui garantissent la vie privée. Par ailleurs, nous pourrions être beaucoup plus éduqués aux évolutions d’Internet. Car ces nouvelles technologies ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi. Ce qui est problématique, c’est la manière dont les gens se les approprient. Si on est éduqué à savoir ce qu’il faut diffuser sur Internet, il y a beaucoup moins de possibilités d’en être atteint ensuite.

« Analyser la présidentielle avec Clément Viktorovitch et David Chavalarias », le 12 avril à 20 h au mk2 Bibliothèque

Toxic Data. Comment les réseaux manipulent nos opinions de David Chavalarias (Flammarion, 300 p., 19 €)

Portrait David Chavalarias (c) DR

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