
Des maisons hantées, mais artisanales, bricolées par des familles, des quidams – c’est l’une d’entre elles que l’on visite, pas rassurés, dans Room Temperature. Quand Dennis Cooper et Zac Farley se retrouvent à Los Angeles, alors que Halloween transforme la ville en gigantesque parc de l’horreur, ils les explorent compulsivement. « Dans ces parcours, il y a toujours un côté voyeuriste: on entre dans l’intimité des gens, on voit comment ils traduisent l’horreur à partir de leur environnement familier », explique Farley.
Artiste trentenaire passé par des études à L.A., ce dernier a signé deux films fous avec Cooper, l’écrivain queercore installé à Paris : Like Cattle Towards Glow (2015, inédit en France), plongée blême dans les cauchemars d’ados anesthésiés, puis Permanent Green Light (2019), sur un jeune homme décidé à se faire exploser pour la beauté du geste. Un cinéma tout aussi kamikaze, radical, à rebours de tout. Leurs pitchs flirtent avec l’extrême, mais leurs films refusent tout sensationnalisme : plus abstraits, plus sensoriels, ils glissent ailleurs.

« Quand j’étais enfant, je construisais des maisons hantées dans la cave de ma maison. J’essayais de faire peur aux voisins du quartier », raconte Cooper. Farley, lui, se souvient : « La première maison hantée que j’ai traversée, c’était sûrement le Phantom Manor de Disneyland Paris. J’avais 6 ou 7 ans. J’avais adoré, mais ce n’est pas du tout une maison hantée “faite maison”. » Évidemment, ces maisons n’ont pas les moyens de Hollywood – c’est précisément ce qui attire les deux cinéastes. Une peur plus brute, plus dingue, plus sincère. « Il y a un début, une fin, un trajet imposé – comme dans notre film, d’ailleurs –, mais aussi des accidents, des détours, des bizarreries », ajoute Farley.
Pour Room Temperature, les deux artistes ne voulaient surtout pas d’un film d’horreur. « On voulait que la maison hantée soit un échec. Simple, ringarde, sans éclat. Dans nos films, on parle souvent d’ambition et de ratage – c’est étrange », reprend Cooper. Chez eux, les fantômes sont moins dangereux que les vivants. Il y en a bien un, mais il est plutôt triste. Il hante, se cogne, ne fait peur à personne. Pourtant, il regarde, et c’est ça le plus flippant. Sa neutralité renvoie le père de famille à sa propre monstruosité, lui qui entraîne sa famille dans un délire d’art et de domination, étouffant toute velléité créatrice autour de lui.
Avec son petit côté Shining atone, Room Temperature explore la psyché de la middle class et déploie une farce grimaçante sur l’autorité patriarcale, la domination dans l’art et notre soif d’entertainment. Par ses vides, sa distance bressonnienne et ses décalages étranges, le film nous entraîne dans des limbes cinématographiques rarement atteints. « On envoie des signes, des fragments, mais sans tout étaler, conclut Cooper. Ce qu’on veut, c’est que le spectateur se demande : “Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi?” Qu’il regarde vraiment.» Au risque de se perdre dans le plus effrayant des dark rides. »
Room Temperature de Dennis Cooper et Zac Farley, Léopard Films (1 h 33), sortie le 26 novembre
