Patrice Chéreau en 10 films emblématiques

Entre théâtre et cinéma, Patrice Chéreau (1944-2013) a construit une œuvre intense où s’entrelacent passion, violence et fragilité des liens humains. À l’occasion d’une rétrospective, et de la ressortie cette semaine de « La Reine Margot, on revient sur dix films particulièrement forts dans sa filmographie.


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Bruno Cremer (Delage) et Charlotte Rampling (Claire) dans le film de Patrice Chéreau "La chair de l'orchidée"

La Chair de l’orchidée – 1975

Quand il réalise ce premier long métrage, Patrice Chéreau est déjà une figure de proue du théâtre moderne. Il a dépoussiéré Molière, Marivaux et Victor Hugo, mais veut s’attaquer au cinéma. Adapté d’un roman noir de James Hadley Chase paru en 1948, son filmraconte l’histoire d’une riche héritière (Charlotte Rampling) séquestrée par sa tante (Edwige Feuillère) avide d’argent. Chéreau voulait un film cruel, tortueux. Il s’en donne à cœur joie avec ce scénario désabusé, plein de vengeance et de coups bas. La presse recevra mal le film, jugé trop théâtral. Chéreau y a pourtant jeté les bases de son cinéma retors et exigeant, où la violence et la cupidité des hommes sont révélés au grand jour dans des décors funestes.

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© Gaumont Malavida

Judith Therpauve – 1978

La veuve d’un héros de la Résistance fait la rencontre d’anciens camarades d’armes de son mari, qui la convainquent de sauver leur journal. Bientôt, elle se retrouve prise en étau entre les revendications de chacun… Deuxième film méconnu de Chéreau, Judith Therpauve offre à la grande Simone Signoret l’un de ses rôles les plus touchants. Chéreau la filme attentivement, avec un réalisme cru et tendre qui évoque Maurice Pialat. Profondément pessimiste, le film fait surtout le constat d’une collectivité impossible, d’une lutte politique avortée par des conflits internes. Un thème qui reviendra souvent dans la filmographie de Chéreau.

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© StudioCanal Malavida

L’Homme blessé – 1983

Fils d’ouvrier d’origine polonaise, Henri (Jean-Hugues Anglade, César du meilleur acteur pour ce rôle en 1984) s’ennuie ferme dans sa vie.  Jusqu’à ce qu’il rencontre dans une gare parisienne Jean (Vittorio Mezzogiorno), un marginal plus âgé rattaché au milieu de la prostitution, qu’Henri intègre pour lui plaire.  Résultat d’une collaboration étroite et étalée sur six ans avec Hervé Guibert, ce film sélectionné à Cannes en 1983 marque un tournant dans la carrière de Chéreau. Constellé de références littéraires (Jean Genet, Jorge Luis Borges, Dostoïevski, Cesare Pavese…), son coming-of-age crépusculaire et organique a été considéré comme prémonitoire des années sida.

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(c) Pathé Films

Hôtel de France – 1987

Michel et Sonia, ex-amants, se retrouvent des années plus tard lors d’une réception, plein d’illusions perdues face aux souvenirs de leur jeunesse provinciale. Adaptation libre de Platonov de Tchekhov transposée dans la France contemporaine, ce buddy movie désenchanté, porté par la troupe des Amandiers, est traversé par une tension constante, presque épuisante, mais fascinante.

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(c) Pathé

La Reine Margot – 1994

Sur fond historique (le massacre de la Saint-Barthelemy en 1572), Patrice Chéreau greffe ses grandes obsessions : la volupté, la vengeance et les intrigues diplomatiques. C’est sa première grande fresque, et elle connaîtra de nombreux déboires. Scénario réécrit à l’infini, tournage cauchemardesque, montage épique. Le jeu en valait la chandelle. Quand le film sort, sa modernité éclate aux yeux du monde : avec ses guerres intestines, il fait écho aux guerres civiles en cours, en Yougoslavie et au Rwanda. 

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Ceux qui m’aiment prendront le train – 1998

Une famille se déchire au moment d’enterrer Jean-Baptiste, un artiste-peintre. Le point de départ est aussi simple que le reste est dense, cruel, désespéré. Chéreau filme les amants, les ex-amants, les amis dans une ronde d’émotions et d’effets – travellings, images mentales, cadrages fébriles sur les corps. Il offre au passage à ses interprètes – Jean-Louis Trintignant, Pascal Gregory, Valeria Bruni-Tedeschi et Dominique Blanc – une partition lyrique.

Intimité – 2001

Chaque mercredi, Jay et Claire se retrouvent pour une relation purement physique, sans attache. Mais peu à peu, Jay cherche à percer le secret de cette femme qu’il ne connaît pas… Tourné en anglais, avec des acteurs britanniques (Mark Rylance, Kerry Fox), c’est le premier film en langue étrangère de Chéreau, lecteur immodéré qui a encore une fois recours à l’adaptation, cette fois de l’auteur Hanif Kureishi.  Avec un style cru, Chéreau filme un Londres froid, presque désincarné. Le film a reçu l’Ours d’or à la Berlinale de 2001.

Son frère – 2002

Atteint d’une maladie incurable, Thomas se rapproche de Luc, son frère qu’il avait perdu de vue. Dans l’épreuve, les deux hommes renouent, se découvrent et affrontent ensemble la fin qui approche. Sans pathos, Chéreau prend le temps de filmer l’hôpital comme un espace dense, presque un théâtre. Interprétés par Bruno Todeschini et Eric Caravaca, les personnages principaux sonnent très justes, sans artifice. Ours d’argent à la Berlinale en 2003.

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(c) Studiocanal Maladiva

Gabrielle – 2005

Un couple bourgeois, en apparence accompli, vacille quand Gabrielle annonce à son mari son intention de le quitter. Le vernis social craque, révélant un abîme d’incommunicabilité. Dans ce huis-clos conjugal, adapté de la nouvelle Le Retour de Joseph Conrad (transposé dans la France de la Belle Epoque), Chéreau offre un écrin esthétique ultra raffiné à ses deux interprètes principaux – Isabelle Huppert et Pascal Greggory – lancés dans une partition fine et complexe, pleine de non-dits.

Persécution – 2009

Pris entre un inconnu obsédé et une femme qu’il aime à en souffrir, Daniel (Romain Duris) vacille. Persécuté, persécuteur, il lutte contre ses propres démons dans un Paris tendu et oppressant. Tout dernier film de Chéreau, Persécution est aussi peut-être son plus noir et indéchiffrable (sa narration éclatée lui donne un côté expérimental). Un dernier geste aussi fort qu’inconfortable.

Rétrospective Patrice Chéreau, cinéaste distribuée par Malavida Films, au cinéma le 5 NOVEMBRE. 5 films : Judith Therpauve, L’Homme blessé, Ceux qui m’aiment prendront le train, Hôtel de France, Gabrielle