L’acteur et producteur Robert Redford est mort

« Out of Africa » (1985), « Les Hommes du président », « Butch Cassidy et le Kid » (1969), « Les Trois jours du Condor » (1975)… Figure incontournable du cinéma américain, l’acteur, réalisateur et producteur Robert Redford, cowboy charismatique et personnalité engagée d’Hollywood, est décédé ce mardi 16 septembre à l’âge de 89 ans, a révélé le New York Times.


Robert Redford dans The Old Man and The Gun (2018)
Robert Redford dans The Old Man and The Gun (2018)

Celui qui a aussi fondé en 1981 le Sundance Institute, parrain du festival de film de Sundance (rendez-vous incontournable du cinéma indépendant lancé en 1985 pour décentraliser Hollywood), laisse derrière lui une filmographie légendaire en tant qu’acteur, mais aussi en tant que réalisateur : on se souvient de L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux (1998), mélo aux flancs des montagnes, ou encore de Sous surveillance, son dernier thriller électrique sorti en 2003, qui filait la métaphore d’une Amérique paranoïaque.

Avant de devenir une star bankable grâce à Butch Cassidy et le Kid de George Roy Hill en 1969, Robert Redford a foulé les planches du Théâtre Belasco de New York, et écume les seconds rôles de productions télévisées après avoir été repéré par la célèbre Music Corporation of America. On le voit dans Maverick, Alfred Hitchcock présente ou encore La Quatrième Dimension. En 1962, sur le tournage de La guerre est aussi une chasse de Denis Sanders, il rencontre un jeune acteur fougueux, qui deviendra par la suite un ami, réalisateur de talent et un binôme de longue date : Sydney Pollack. Ensemble, ils tourneront sept films, à commencer par Propriété interdite, en 1966, inspiré d’une pièce de Tennessee Williams. Aux côtés de Natalie Wood, Robert Redford impose son magnétisme, dans le rôle d’un employé d’une compagnie de chemin de fer. La même année, il tourne La Poursuite impitoyable d’Arthur Penn, et fait un bout d’essai pour Le Lauréat de Mike Nichols – Robert Redford fait tout pour obtenir le rôle de cet étudiant gauche et paumé qui séduit une femme mûre. Mais sa beauté renversante le dessert : on le juge trop parfait pour le personnage, et c’est Dustin Hoffman qui s’y colle.

Il faudra attendre sa rencontre avec George Roy Hill, qui le choisit pour donner la réplique à Paul Newman dans Butch Cassidy et le Kid, pour atteindre les sommets. Dans ce western doucement anarchique, l’acteur compose un vaurien attachant, aux mœurs amoureuses libres.

les trois jours du condor
 Les Trois Jours du Condor (c) 1975 Studiocanal

Son insolence fait mouche, il règnera désormais en maître sur les années 1970, le Nouvel Hollywood et sa soif de renouveau. Mais Robert Redford n’oubliera jamais ses débuts avec Sydney Pollack. En 1971, il tourne Jeremiah Johnson avec son acolyte, l’histoire d’un trappeur reclus dans les montagnes de l’Utah. Leur collaboration, étendue sur plus de 25 ans, se poursuivra avec le thriller politique Les Trois jours du Condor (1975), dans lequel l’art du suspens se confond avec une dénonciation des dérives de la CIA. Puis viendra Out of Africa, inspiré du roman autobiographique de Karen Blixen, mélo plongé dans la lumière du photographe David Watkin, et qui consacre Robert Redford dans son image de cowboy taiseux et généreux. Une aura de sex symbol qui lui collera à la peau mais dont l’acteur, profondément humble et distant, se chargera toujours de garder à distance. 

ROBBY « BELLE GUEULE »

« Personne ne me disait que j’avais une belle gueule quand j’étais jeune et au chômage », avait confié Redford à l’Obs en 1981. Très conscient que son physique hollywoodien pouvait le réduire à un statut de fantasme, l’acteur a toujours voulu faire entendre ses engagements. Installé dans l’Utah depuis 1961, impliqué dans la préservation du paysage naturel de l’Etat de l’Ouest, il n’a jamais fait mystère de ses convictions démocrates et écologistes, tirant la sonnette d’alarme sur le réchauffement climatique dès les années 1980. En 1989, il avait réuni dans une conférence bilatérale des scientifiques américains et soviétiques. Quelques années auparavant, en 1981, il avait fondé un institut de défense des ressources naturelles. « Parce que nous ne pouvons pas attendre que le gouvernement se décide, ni le Congrès, ni les responsables politiques, nous devons passer à l’action », avait-il revendiqué dans un entretien repartagé par Brut en 2019.

Une sensibilité qui s’est sûrement développée durant son enfance. Né en 1936 à Santa Monica dans un milieu modeste – son père, laitier, est devenu comptable ; sa mère, qu’il a perdue à 19 ans, était femme au foyer –, il a grandi dans l’immense vallée urbanisée de San Fernando. Témoin de la pauvreté de la population latino, de la disparition d’un grand parc naturel près duquel il vivait, sa jeunesse, entre bouteilles d’alcool et bagarres, a été décrite comme chaotique et étouffante. Elle a en tout cas très certainement cimenté sa conscience politique, ancrée à gauche. Plusieurs fois, il a réalisé, produit ou joué dans des films mettant en avant des opposants au pouvoir (Les Hommes du président d’Alan J. Pakula, The Conspirator ou Sous surveillance, qu’il a signés, ou Carnets de voyage de Walter Salles).  Dans Lions et agneaux, il a osé s’attaquer à l’administration Bush, en racontant trois histoires liées à la guerre des Etats-Unis contre le terrorisme.

les hommes du president
Les Hommes du président (c) DR

UN HÉRITAGE FERTILE

Plus tard, Robert Redford aura à cœur de prolonger cet engagement en soutenant des films qui portent l’héritage d’une révolte sociale, d’une sensibilité politique progressiste. En 1968, il fonde la société de production Wildwood, grâce à laquelle il produit Votez McKay de Michael Ritchie (1972), qui décrit implacablement les rouages d’une campagne électorale broyant les candidats en chair à canon. Il sera aussi producteur exécutif des Hommes du président de Pekula (1976), dans lequel il incarnait Bob Woodward, journaliste du Washington Post qui déclencha le scandale du Watergate à l’origine de la démission du président Richard Nixon. Plus récemment, il participe à la réhabilitation d’Alice Guy, pionnière oubliée de l’histoire du cinéma, en produisant le riche documentaire Be Natural : L’Histoire cachée d’Alice Guy-Blaché de Pamela B. Green (2018). 

Sa contribution au cinéma ne s’arrête pas là. Établi depuis 1969 dans l’Utah, Robert Redford y a acheté des terres. En 1978, un festival visant à promouvoir le cinéma indépendant – le « Utah/US Film Festival » –  se créé dans la région. C’est l’ancêtre du désormais célèbre festival de Sundance. En concertation avec les créateurs de ce festival, Redford décide de créer le Sundance Institute, une structure de soutien (labo, ateliers, mentorats) à destination des cinéastes indépendants. Au fil des années, Redford a contribué à créer tout un écosystème autour de Sundance, qui a permis de faire éclore de nombreux talents – Steven Soderbergh y a présenté en 1989 Sexe, Mensonges et Vidéo ; Quentin Tarantino a participé au Director’s Lab de Sundance avec Reservoir Dogs, projeté au festival en 1992 ; Paul Thomas Anderson y a projeté plusieurs de ses premiers films… Plus récemment, de jeunes cinéastes se sont aussi fait remarquer, comme Sean Wang pour son coming-of-age Dìdi (2024), sur un ado américano-taïwanais qui cherche sa place entre sa famille, ses sessions de skate et ses premiers amours. Ou Shuchi Talati et son audacieux Girls Will Be Girls (2024), qui se déroule dans un pensionnat indien et suit lui aussi une jeune ado alors qu’elle découvre le désir et la rébellion. Ces jeunes pousses sauront à coup sûr faire fleurir le beau jardin rêvé de Robert Redford.