
Comment as-tu abordé le livre de Fatima Daas, récit à la première personne à la structure complexe et à la narration poétique ?
J’ai découvert le livre quand on m’a proposé d’en faire une adaptation, je ne le connaissais pas. Je n’avais jamais fait d’adaptation. Et j’ai vraiment eu un coup de cœur pour le personnage. Je n’avais jamais vu ce personnage au cinéma. Ça m’a donné envie de le développer. Mais je me suis dit, waouh, l’adaptation, ça va être costaud parce que c’est un roman assez pudique. Il fallait un peu lire entre les lignes. En tout cas, essayer. Ensuite, elle parle beaucoup de son enfance dans le livre et très vite je me suis dit que je n’avais pas envie de traiter l’enfance du personnage parce qu’elle n’était pas très joyeuse, et je n’avais pas envie de montrer ça. Je trouvais qu’on l’avait déjà vu beaucoup au cinéma, et même, c’était un peu trop négatif pour moi. Mais après, je me suis lancée sans trop réfléchir, avec quand même cette idée de chronique, de suivre ce personnage sur un an.
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L’héroïne, Fatima, est une jeune femme lesbienne, musulmane, avec toute la complexité que ça comprend. J’imagine qu’échapper aux clichés, aux assignations, était un gros enjeu ?
J’ai vu très vite que les gens ont peur de ces sujets. Déjà au niveau des financements, ça a été très, très compliqué. En fait, c’est soit on nous fermait la porte au nez, soit on nous aidait volontiers, mais on a eu plus de refus que d’aide. J’ai remarqué que l’homosexualité, ça reste un sujet qui dérange pas mal de personnes. Je ne pensais pas que c’était à ce point compliqué, et ça m’a donné encore plus envie de faire le film. Au final, il n’est resté que les gens qui étaient là pour les bonnes raisons, pour défendre le sujet, pour aller au bout du projet. Je ne voulais surtout pas être dans des clichés. J’ai rencontré beaucoup de personnes LGBT, je suis allée dans des soirées, j’ai échangé avec beaucoup de lesbiennes pour en savoir un petit peu plus sur la sexualité lesbienne, parce que c’est pas quelque chose que je connaissais, donc il fallait que je me renseigne. Et c’était aussi important de respecter la religion.
Le film avance avec une honnêteté rare, une simplicité au sens le plus noble du terme, dans un accès très direct aux personnages et à ce qu’elles vivent, qui passe aussi beaucoup par le gros plan. Comment tu travailles cette simplicité, cette vérité, à l’écriture, au tournage ?
Déjà, c’est beaucoup de recherches, parce que moi je déteste, en tant qu’actrice, jouer un personnage et ne pas l’aimer – enfin, ne pas aller au bout des choses, ne pas essayer de comprendre, de voir, d’aller vraiment sur le terrain. C’est beaucoup de répétitions parce que le casting, il se constitue de beaucoup de comédiens non professionnels, ou qui ont peu d’expérience. Donc beaucoup de répétitions, comme au théâtre. Et beaucoup de moments passés ensemble, de repas, de moments de vie, pour apprendre à se connaître, à s’apprécier, à se faire confiance. Ça c’est très important. Et après, ça devient tranquille, familial. Pour moi, cette ambiance, elle est importante. Parce que j’ai du mal à filmer quelqu’un que je n’apprécie pas, et en tant qu’actrice aussi, j’ai du mal à m’abandonner avec quelqu’un que je n’apprécie pas – même si aujourd’hui ça va mieux, j’ai plus d’expérience. Mais je sais que quand j’ai commencé, je n’y arrivais pas, c’était impossible. En tout cas, avant tout, un film pour moi c’est une aventure, c’est des rapports humains. Et après, les gros plans, j’adore. J’aime les plans larges aussi, mais j’aime être près des personnages parce que j’aime voir les grains de peau. Il y a peu de maquillage, j’aime voir les respirations, les émotions. J’ai besoin d’être avec le personnage, de l’accompagner.

Le film révèle Nadia Melliti dans le rôle principal, qui est sidérante. Comment l’as-tu rencontrée ?
Quand j’ai lu le livre et écrit le scénario, je savais que ça allait être galère de trouver la bonne personne. Du coup, très vite, au bout de la troisième ou quatrième version du scénario, j’ai demandé aux productrices de commencer le casting. Ce qui ne se fait jamais, parce qu’à cette étape-là, on n’a pas encore les financements, et ça coûte cher tout ça. Donc au moment où elles ont lancé, on avait zéro financement. On a fait un gros casting sauvage dans plusieurs régions. Et en fait, Nadia est arrivée très vite. Elle était dans les premières photos que j’ai sélectionnées, son regard m’a vraiment touchée. Mais il fallait quand même continuer parce que voilà, ce n’était qu’une photo, je ne l’avais pas rencontrée. Et sur la photo, je n’étais pas sûre qu’elle soit d’origine maghrébine et c’était obligatoire pour l’histoire. Enfin, ça aurait pu être un personnage d’origine différente, mais bon, c’était ce qu’il y avait dans le livre, et il s’est avéré qu’elle avait les mêmes origines que le personnage. Le temps est passé, elle est venue passer des essais. Pendant les essais, je ne donne pas d’indications, pour laisser les gens improviser – ils viennent, ils n’ont jamais joué pour la plupart et on leur donne un sujet et une scène à jouer. Quand Nadia est rentrée dans la pièce, je me suis dit, c’est elle.
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C’est aussi un film sur l’éveil au désir. La mise en scène suit l’évolution de l’héroïne, les scènes d’amour sont d’abord filmées de manière assez pudique, et puis plus on avance dans le film, plus la sensualité déborde…
Plus elle perd la tête ! Ce n’était pas évident parce que je ne voulais pas aller vers des scènes qu’on a déjà vues. Je préfère filmer des beaux baisers qu’une scène de sexe simulée qu’on a vu cinquante fois. Donc ça, c’est toute une mise en scène, c’est très chorégraphié et assez technique pour ne pas avoir à les refaire cent fois. Cette progression, elle est venue vraiment avec du recul, avec l’écriture. Je savais que j’avais très envie, très tôt, d’une scène de sexe parlé comme la scène au début avec la fille dans la voiture, qui est très crue. En fait ça fait longtemps que j’ai envie de filmer cette scène, même en dehors de ce film, d’un personnage qui parle de sexe, parce que j’ai essayé de trouver une autre manière de raconter le sexe, quelque chose de différent. Après, on la suit sur un an, elle évolue petit à petit, mais on sent quand même qu’elle a envie de ressentir les choses, de vivre sa sexualité. Ça fait partie de la vie et j’avais envie de filmer ça de manière normale, simplement.
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