
Tout commence comme une comédie romantique. Bruxelles, à la tombée de la nuit. Kika (Manon Clavel, dont c’est le premier grand rôle) court pour apporter le vélo de sa fille chez un réparateur, David, qui accepte de rester ouvert quelques minutes de plus pour la dépanner. Le coup de foudre est immédiat et rapidement, ils filent ensuite le parfait amour… jusqu’à la mort soudaine de David. Assistante sociale fauchée et épuisée par un système défaillant, la jeune veuve, enceinte de son deuxième enfant, bascule alors dans la précarité. Elle doit trouver un nouveau logement, rembourser les dettes accumulées pour l’enterrement de son conjoint, il lui faut de l’argent, vite. Alors elle se lance timidement dans le travail du sexe, s’initiant aux pratiques BDSM.
Forte de son expérience de documentariste, Alexe Poukine ancre son récit dans un réalisme social saisissant, en prenant soin d’éviter tout misérabilisme, et dessine le portrait complexe d’une jeune femme qui tente de garder du contrôle sur une situation qui menace de l’engloutir. Portée par la trajectoire de son héroïne, la réalisatrice pose sa caméra dans des espaces peu représentés au cinéma (les chambres aux murs velours des Love Hotels ou l’alcôve d’une dominatrice, par exemple), y place des personnages féminins secondaires bien définis, et explore avec bienveillance le quotidien des travailleuses du sexe, tout en soulignant l’air de rien l’aspect profondément humain de cette profession. C’est précisément là que Kika réussit son tour de force.
En distillant son propos politique dans une trame narrative limpide, Alexe Poukine propose une réflexion passionnante sur la place du corps, des émotions et la quête de contrôle dans une société toujours plus étouffante. Sa première fiction, très prometteuse, avance feutrée et déstabilise, enchaînant les séquences tendres, crues ou amusantes, avant de laisser éclater dans sa dernière demi-heure toute sa puissance émotionnelle.
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