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Le nouveau règne des drag-kings

  • Belinda Mathieu
  • 2020-02-17

Drôles, créatifs et militants, les drag-kings incarnent différentes versions, volontiers stéréotypées, de la masculinité. On a tenté de décrypter  cette scène émergente, encore confidentielle en France, qui s’impose 
peu à peu et crée des vocations.

Sur la petite scène de La Mutinerie, bar féministe lesbien, bi, queer et trans du Marais, se produisent un soir de décembre les performeurs de la Kings Factory, des scènes ouvertes mensuelles destinées aux drag-kings qui veulent tester leurs numéros. Novices ou confirmés, des drag-kings de styles et d’univers très différents se succèdent. Le père Pudeur, prêtre libidineux, nous incite à «entrer en tentation» avant d’accomplir un strip-tease, puis Hayden la Vidange, pirate à la Jack Sparrow, exhibe un phallus en guirlandes lumineuses avant de scander : «El violador eres tú!» (« le violeur c’est toi ! »), l’hymne des manifestantes chiliennes contre les violences sexuelles.

Entassé dans la petite salle moite, le public de La Mutinerie, majoritairement féminin et queer, ne tarit pas d’applaudissements devant ces shows drôles, déjantés, souvent libidineux et férocement engagés – même si pas toujours très rôdés. Ces scènes ouvertes ont été lancées en janvier 2019 par deux kings bien installés dans le milieu : Jésus la Vidange, beau gosse rockeur un poil macho, et Thomas Occhio, dandy séducteur qui navigue entre les genres.

Si on ne présente plus les drag-queens, qui incarnent des archétypes de la féminité et sont assez visibles dans la culture populaire – de l’Américain RuPaul et son émission de téléréalité RuPaul’s Drag Race (visible sur Netflix) à l’historique cabaret parisien Chez Michou –, les drag-kings sont encore très peu connus. Alors une définition s’impose. «Pour moi, être drag-king, c’est performer le genre masculin et se jouer de ses codes», explique Jésus la Vidange. Et même si beaucoup de kings sont incarnés par des femmes, Thomas Occhio précise : «Le drag-king n’est pas réservé aux femmes cisgenres, il peut aussi être performé par des personnes transgenres, non binaires, genderfluid, no gender, et même des hommes cisgenres!» À l’heure d’une plus grande visibilité des questionnements sur le genre, le féminisme et la transidentité, les kings français arrivent à point nommé.

NOUVEAU GENRE

Impulsée depuis quelques années par des acteurs de milieux militants queer et féministe, une scène drag-king commence à se structurer à Paris. Parmi ses figures de proue, on compte Drag My King, un cabaret créé en 2016 et qui, depuis 2019, a lieu au KLUB, rue Saint-Denis, une fois tous les deux mois. Quatre talents s’y produisent par soir, introduits par une maîtresse de cérémonie drag-queen. Comme à La Mutinerie, les shows sont variés, l’ambiance brûlante, mais les performeurs sont plus confirmés. Comiques ou étranges, légers ou militants, ils peuvent performer des lip sync (il s’agit de mimer les paroles d’une chanson sur un playback), de la danse, du chant et de la comédie. On peut y croiser Jésus la Vidange, Thomas Occhio, mais aussi le gothique Vamp Reznor ou encore Jeffrey Scary, dandy inspiré d’Alex dans Orange mécanique, à l’origine de ces soirées.

Quand on l’a rencontré, ce king de 61 ans, artiste pluridisciplinaire – qui incarne aussi un personnage burlesque ultra-féminin nommé Fatale Redvenom –, nous a précisé : «Par nécessité ou par choix, des femmes ont dû s’habiller en homme pour survivre ou accéder à des privilèges masculins. Et c’est encore le cas dans certains pays, comme en Iran où une femme s’est récemment grimée en homme pour assister à un match de foot.» Si les kings s’approprient et arborent – souvent avec humour – les attributs de la virilité sur scène, c’est avant tout pour dénoncer les privilèges et comportements masculins à l’œuvre dans la société. Jay, 27 ans, cocréateur des ateliers drag-king les Adelphes, explique : «L’identité king est née aux États-Unis dans les années 1960, dans le contexte des luttes féministes et trans. Les femmes butch étaient arrêtées par la police car elles enfreignaient la loi antitravestissement.

Elles se sont ainsi rapprochées des travailleuses du sexe, des transgenres et des drag-queens, elles aussi harcelées par la police.» Dans ses ateliers, organisés à Bordeaux, Caen et Paris, Jay enseigne l’art de se travestir en homme et partage aussi quelques exercices de théâtre pour se préparer à déambuler en king dans l’espace public. «C’est une expérience euphorisante et intense. C’est aussi une manière de créer une communauté queer où l’on peut créer et s’amuser, en dehors du cadre purement militant.» Ainsi, les Adelphes ont fait naître des vocations un peu partout en France. C’est le cas de King Shammy.

À 36 ans, ce « baby drag-king » a fait son premier atelier en 2019. Il explore une esthétique drag glamour et inspirée de ses origines indiennes : «Me “kinguer” me permet de contrer ma dysphorie de genre et d’explorer les masculinités de manière plus exacerbée que dans mon quotidien», explique-t-il. Il décrit une scène accueillante, solidaire, qui, même si elle croît, demeure underground. Et de conclure : «On est militants, pas récupérables, pas monétisables.»  Peu probable, donc, que l’on voie un jour une émission semblable à RuPaul’s Drag Race mettant en scène des drag-kings. • BELINDA MATHIEU

« Drag My King », une fois tous les 
deux moins au KLUB
« Kings Factory », tous les mois 
à La Mutinerie
« Dimanche Drag », tous les quinze jours 
aux Petites Gouttes

Tags Assocíes

  • drag-kings
  • queer

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