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Elisabeth Moss, bipolaire de rien

  • Juliette Reitzer
  • 2015-09-13

Après Ashley dans Listen Up Philip, Alex Ross Perry vous offre à nouveau le rôle d’une femme prise dans la tourmente d’une rupture amoureuse. De laquelle de ces deux héroïnes vous sentez-vous la plus proche ?
Ashley, définitivement. J’avais mis beaucoup de ma propre expérience des ruptures dans ce rôle… Ashley et Catherine sont totalement différentes, mais les films le sont aussi. L’enjeu de Listen Up Philip était d’être très réaliste, alors que Queen of Earth est très polarisé, il explore un genre plus spécifique.

Le tournage de ce film indépendant à petit budget a été particulièrement rapide.
Le tournage a duré onze ou douze jours seulement. Mais quand vous n’avez qu’un seul décor, vous gagnez beaucoup de temps. Il n’y avait qu’une dizaine de personnes dans l’équipe, c’était très intime. Quand vous réduisez la taille du tournage, vous réduisez aussi les contraintes et le temps nécessaire à lancer la machine. Honnêtement, on ne travaillait pas du tout dans l’urgence. On a même fini en avance, chose qui ne m’était jamais arrivée.

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Alex Ross Perry vous laissait-il de la place pour improviser ?
Je ne sais pas si on peut vraiment parler d’improvisation, parce que ça renvoie à l’idée d’inventer des dialogues sur le vif, ce qu’on ne faisait pas, mais il est très partant pour essayer des choses dans la manière de jouer, dans l’émotion. Et j’ai suffisamment confiance en lui pour tenter des trucs, en sachant que si ça ne va pas il n’aura aucun problème à me le dire.

Avez-vous mis des mots sur le trouble mental de Catherine ? Avez-vous fait des recherches sur certaines pathologies psychiatriques ?
Pas vraiment, non. Je crois que je ne l’ai jamais envisagée comme une vraie malade mentale. On a tous par moments le sentiment d’être fou ou de le devenir, mais en général on sait comment ne pas basculer dans le délire. Je pense que Catherine est arrivée à un stade où elle accepte de se laisser aller à sa folie, et même qu’elle veut y aller. Elle s’y complaît, d’une façon un peu tordue.

Cette femme qui sombre dans la démence rappelle le personnage joué par Gena Rowlands dans Une femme sous influence de John Cassavetes, ou celui interprété par Catherine Deneuve dans Répulsion de Roman Polanski. Aviez-vous des références en tête au moment de tourner ?
J’aime énormément Une femme sous influence. Mais le film que j’ai en effet regardé pour me préparer, avant le tournage, c’est Répulsion. C’était une influence énorme pour moi, tout comme Rosemary’s Baby d’ailleurs. J’ai piqué à Répulsion l’idée de la petite robe blanche, que porte Catherine Deneuve dans le film, et qui lui donne un air très vulnérable. Bon, par contre, Deneuve est belle à tomber dans le film. Ses cheveux sont tout le temps impeccables, elle est sublime. Je voulais que mon personnage dans Queen of Earth soit un peu plus réaliste, en ce sens qu’elle n’est pas aussi soignée. Elle peut ne pas être jolie, ou avoir les cheveux sales.

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Catherine est définie par sa dépendance émotionnelle à deux hommes, son père et son compagnon, qui viennent tous les deux de disparaître – le premier est mort, le second l’a quittée. L’épisode d’instabilité qu’elle traverse ne peut-il pas être vu comme une lutte intérieure pour s’émanciper ?
Si. Pour moi, c’est même le grand enjeu du film. Catherine a tout construit sur ses rapports avec les hommes. Si elle n’a pas un homme dans sa vie, elle ne sait pas qui elle est, ni qui elle veut être. D’ailleurs, dans beaucoup de films et de séries, les femmes sont définies uniquement en fonction des problèmes qu’elles rencontrent dans leurs relations avec les hommes. Alors que bon, ça semble évident, mais rappelons-le tout de même : en tant que femme, nous avons tout un tas d’autres choses à gérer dans notre vie que nos relations avec les hommes… En tout cas, ce qui m’a plu dans ce film, c’est qu’à mesure que Catherine s’enfonce dans la folie, elle trouve de plus en plus de force. Au début du film, elle est brisée, totalement vulnérable, pitoyable. Et plus on avance, plus elle prend confiance en elle, plus elle affirme son caractère et ses opinions, jusqu’au plan final dans lequel elle rit carrément.

Jouer une aliénée semble être une sorte de Graal pour une actrice. Vous confirmez ?
(rires) Oui, complètement. C’est le challenge ultime. C’est extrêmement difficile à jouer sans tomber dans la surenchère. Avec Alex, on discutait, il y a quelques jours, du fait que la folie au cinéma est souvent traitée par le biais de personnages féminins, filmés par des hommes. Sa théorie, c’est que les hommes sont terrifiés par les femmes et leur pouvoir, et par ce qu’il se passerait si elles perdaient le contrôle de ce pouvoir.

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Après la superproduction Mad Men, vous vous êtes tournée vers des films d’auteur indépendants comme ceux d’Alex Ross Perry, ou comme The One I Love de Charlie McDowell (pour l’instant inédit en France). Aviez-vous besoin de prendre des risques, d’avoir plus de liberté ?
Je pense que oui ; prendre des risques, c’était l’idée. Quand vous jouez le même personnage pendant sept saisons, vous avez envie de changer quoi qu’il arrive. Si en tant qu’actrice je n’essaie pas de progresser, quel intérêt ? Cela dit, jouer dans Mad Men ne m’a jamais donné le sentiment d’être au cœur d’une grosse machine ou de manquer de liberté. J’avais le sentiment de pouvoir apporter des choses, de pouvoir faire évoluer Peggy, mon personnage, au fil des saisons.

Discrète secrétaire dans la saison 1, Peggy se révèle progressivement comme l’un des personnages principaux de Mad Men. Saviez-vous dès le début qu’elle prendrait une telle importance dans la série ?
Non, pas du tout. J’ai compris qu’elle pourrait devenir un symbole féministe quand elle a commencé à apporter des idées, à être promue, à écrire…

Peggy dans Mad Men, mais aussi Robin dans la série Top of the Lake de Jane Campion, ont fait de vous une sorte de nouvelle icône féministe. Est-ce une étiquette qui vous convient ?
C’est un honneur. À titre personnel, ça a été passionnant : ces rôles m’ont amenée au féminisme ; grâce à eux je m’y suis intéressée bien plus que je ne l’aurais sans doute fait sinon, parce que j’ai une vie très privilégiée, en tant que femme vivant aux États-Unis, élevée par des parents qui travaillent dans la musique… Mais oui je suis très fière d’être associée à l’idée d’un nouveau féminisme.

Queen of Earth
d’Alex Ross Perry (1h30)
avec Elisabeth Moss, Katherine Waterston…
sortie le 9 septembre

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