« La Forteresse noire », mardi soir sur OCS : pourquoi Michael Mann n’a réalisé qu’un seul film fantastique?

La Forteresse noire (1983) fable cauchemardesque sur l’absurdité de l’horreur nazie, ressemble à un film maudit pour Michael Mann qui a subi un tournage accidenté et s’est déclaré déçu du résultat final, charcuté par les studios – il n’est depuis jamais revenu au cinéma fantastique.  Quelques éclats visionnaires subsistent pourtant dans le film, visible ce


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La Forteresse noire (1983) fable cauchemardesque sur l’absurdité de l’horreur nazie, ressemble à un film maudit pour Michael Mann qui a subi un tournage accidenté et s’est déclaré déçu du résultat final, charcuté par les studios – il n’est depuis jamais revenu au cinéma fantastique.  Quelques éclats visionnaires subsistent pourtant dans le film, visible ce mardi sur OCS.

Avec cette adaptation de The Keep (La Forteresse noire, 1981) , roman fantastique de Francis Paul Wilson sur une troupe de nazis affrontant une entité maléfique dans un donjon des Carpathes, Michael Mann voulait réaliser une parabole sur le Mal. Soit l’histoire de SS allemands qui, en 1941, se servent d’un médecin juif infirme (joué par Ian McKellen) pour pénétrer dans une vieille forteresse à la réputation surnaturelle. Le monstre qui logeait dans cette citadelle donne en même temps la force au docteur de combattre les nazis…

Le jeune cinéaste (c’est son deuxième long métrage après Le Solitaire en 1981) imagine son film comme une exploration onirique du Mal – onirique parce que les rêves n’obéissent qu’à une narration décousue, heurtée, sans causalité, explique-t-il dans une interview relayée dans cette vidéo-essai. Influencé par les écrits fantastiques absurdes de H.P. Lovecraft et le cinéma expressionniste allemand des années 1920, Mann saisit et envoûte avec sa manière de réactualiser cette esthétique gothique tourmentée – notamment avec l’électricité sonore du groupe Tangerine Dream ou par les clairs obscurs bleu noir très 80’s, avec le style romantique et froid qu’on trouvera dans ses films ultérieurs.

Sur le tournage, le futur réalisateur de Heat ou Miami Vice – Deux flics à Miami se montre très perfectionniste. Dans une carrière d’ardoises du Pays de Galles où sont recréées les Carpathes, les comédiens ont froid et Michael Mann est parfois dur avec eux. Il les épuise à force de refaire des prises de vues – celles-ci s’étalent sur un an. Et il faut composer avec un gros imprévu, le décès pendant le tournage du superviseur des effets spéciaux, Wally Veevers, sur lequel Mann compte beaucoup pour la post-production.

Car le cinéaste ne veut pas donner de visage au monstre de la forteresse. Mann souhaitait que ce soit une masse noire surgissant inexplicablement du chaos. Veevers, qui avait matérialisé les visions vastes et psyché de 2001 L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, aurait pu parvenir à donner corps à cette abstraction, à ce caractère informe de la créature imaginée par Mann. Pris de court par sa mort, le cinéaste fait alors appel au dessinateur de B.D. Enki Bilal qui designe une sorte de titan aux yeux rouges – comme un mix entre les ombres vivantes d’Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures d’Apichatpong Weerasethakul et l’acteur The Rock. Une figure anthropomorphe qui apparaît aux antipodes des intentions du réalisateur.

Malgré cette déroute, Mann parvient à donner une forme d’ampleur à son film et aboutit à une version de 3h30,  autant métaphysique qu’ opératique, malheureusement restée inédite. Échaudée par les audaces du réalisateur, la Paramount a en effet recalibré le film dans un montage d’environ 90 minutes que n’assume pas Mann. Si après cette déconvenue, le cinéaste s’est écarté du film fantastique, revoir La Forteresse noire aujourd’hui permet déjà de déceler l’ambition qu’a toujours eu Mann, celle de revisiter le genre pour y trouver matière à penser. Plus qu’avec le film d’horreur, c’est surtout avec le thriller (Collateral, Public Enemies…) qu’il saura ensuite projeter toutes ses interrogations existentielles.

Bonus : Dans les couloirs du métro en 1983, l’artiste américain Keith Haring trouve l’inspiration près de l’affiche de La Forteresse Noire.

thekeep