Caroline Poggi et Jonathan Vinel : fleurs aux fusils

On les rencontre sur une terrasse à un moment que l’on imagine important pour eux. Visages doux, dégaine sombre, ils sont en stress parce que le soir même ils montreront à leur équipe de tournage leur premier long métrage, le très attendu Jessica Forever, sur une déesse qui recueille un escadron d’orphelins (la date de sortie


ytdhyjjkyjytmjcwny00nmq3lwfhmdytndc2yzhkndvlywnj pogg2

On les rencontre sur une terrasse à un moment que l’on imagine important pour eux. Visages doux, dégaine sombre, ils sont en stress parce que le soir même ils montreront à leur équipe de tournage leur premier long métrage, le très attendu Jessica Forever, sur une déesse qui recueille un escadron d’orphelins (la date de sortie n’est pas encore fixée). « J’ai bien aimé quand un des acteurs, Lukas Ionesco, m’a dit : “Jessica Forever fera partie de mes souvenirs de jeunesse” », confie Caroline.

Se fabriquer ensemble des vestiges, des images, des secrets… On touche là à ce qu’il y a de plus émouvant dans les films de Vinel et Poggi, nés respectivement en 1988 et 1990 : on sent qu’ils se font tout un monde de leur jeunesse pour pouvoir y revenir lorsqu’ils seront plus vieux. Ils ont d’ailleurs tourné le film près de là où ils ont grandi (Bouloc en Haute-Garonne pour le premier, Bastellicaccia en Corse pour la seconde), des communes à l’ambiance pavillonnaire où le temps semble parfois s’être arrêté. « Un peu comme un décor de cinéma un jour off de tournage. Il n’y a pas de problèmes. Simplement, il n’y a pas de trucs cool non plus. Donc tu es à fond sur ton monde intérieur », dixit Vinel.

After School Knife Fight

After School Knife Fight

JEUNESSE SE PASSE

Dans leurs mondes, des piscines sans eau, des gymnases dépeuplés, des jeux vidéo où l’on tire dans le vide, et les ruines de nos adolescences, qu’on traverse un peu brouillons. Depuis leur rencontre à l’université de Paris-VII, en cinéma, le couple à la ville distille le vague à l’âme propre à la fin de la jeunesse, « un moment de transition et d’émancipation où tu prends conscience de la perte, des départs », dit Caroline Poggi. Le premier court métrage réalisé ensemble, Tant qu’il nous reste des fusils à pompe (2014), sur un jeune homme qui cherche une famille à son frère avant de s’autoriser à mourir, part de l’envie de parler de suicides d’amis et de dépeindre la monotonie de l’été.

Plus jeunes, pour tromper l’ennui, Jonathan remplissait sa tête de shotgun stories en déambulant dans GTA ou Metal Gear Solid (« C’est plus les jeux vidéo que les films qui m’ont donné envie de raconter des histoires »), tandis que Caroline dévorait des mangas, saignait les images de femmes posant avec des poignards sur Tumblr, et regardait les poissons – « J’ai aussi été pas mal marquée par la violence que tu peux voir tous les jours en Corse. C’est un peu le Far West avec ces chasseurs, ces armes, ces pick-up… » D’où, dans leurs films, une esthétique à la fois thug et innocente qui nous ramène à l’enfance, quand on se munissait d’épées légendaires ou de masques rutilants pour embrasser des quêtes mythiques – et c’est tout aussi noble et solennel quand ça parle porno (Notre héritage, 2016) ou cosplay (I Find Love en 2017, clip pour Aamourocean).

Jonathan relie aussi cette inclination pour le mélange de brutalité, de sacré et de candeur à la musique, lui qui avait un groupe de metal hardcore qui s’appelait Sisyphe Burden dont le délitement en terminale a inspiré celui du groupe qui fait son ultime répète dans After School Knife Fight. « C’est un peu comme le screamo, de la musique agressive et, en même temps, très triste, passionnée. » Ce romantisme, on l’éprouve particulièrement avec leur poétique du gang. « Enfant, j’ai été marqué par les bandes de villages. L’idée d’une famille qu’on se choisit, je trouve ça beau, j’ai l’impression que c’est ce qu’il y a à trouver dans le monde », avance Jonathan. La vision que le couple a de l’amitié et de l’amour pourrait être désincarnée parce qu’elle est parfois virtuelle ; au contraire, elle est quasi chevaleresque. Dans Tant qu’il nous reste des fusils à pompe ou Prince puissance souvenirs (2012), on scelle des pactes de sang, des serments de fidélité à la vie à la mort. Destroy et à fleur de peau, on aime à penser qu’ils s’élèvent contre un certain cinéma dénué d’enchantement lorsque dans un de leurs courts métrages on entend : « Notre amour est assez puissant pour détruire ce putain de monde. »

Ultra rêve
de Jonathan Vinel et Caroline Poggi, 
Yann Gonzalez, Bertrand Mandico
UFO Distribution (1 h 22)
Sortie le 15 août