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Adèle Haenel, petit soldat

  • Trois Couleurs
  • 2014-08-18

Depuis ses débuts en jeune nageuse séductrice dans Naissance des pieuvres, la jeune femme aux yeux de chat a posé son regard timide et tenace chez Valérie Mréjen et Bertrand Schefer (En ville), Bertrand Bonello (L’Apollonide. Souvenirs de la maison close) ou Guy Maddin (Spiritismes, sortie prévue cette année). À chaque fois, elle impose une présence physique singulière, à la fois languide et un peu gauche, rehaussée par une voix chaude, légèrement cassée, pas de son âge. L’été dernier elle a enchaîné les tournages de deux films que tout oppose. Dans Les Combattants, premier long métrage de Thomas Cailley, elle est Madeleine, une jeune fille obsédée par la fin du monde et les moyens de s’y préparer. Chez André Téchiné, elle incarne Agnès Le Roux, grande amoureuse dont la disparition, à la fin des années 1970, est restée un mystère. Rieuse et concentrée, Adèle Haenel nous a parlé éclate à l’armée, Tip Top et galvanisation collective.

Comment s’est passée la rencontre avec Thomas Cailley ?
Assez simplement. Au casting, il m’a posé une question sur mon envie de partir, de changer d’air. Comme j’étais mal lunée, je lui ai répondu que la question n’avait pas de sens, qu’on ne réfléchissait pas quand on voulait changer de vie. Ça lui a plu. J’ai senti, autant dans le projet que chez Thomas, quelque chose qui me faisait rire et me touchait.

Comment était l’ambiance sur le tournage ?
On a sillonné le Sud-Ouest, j’avais l’impression qu’on était une bande de fous itinérants. Il y avait une énergie dingue, d’autant que la plupart des chefs de poste débutaient. Dès le départ, je sentais cette promesse d’amusement, son côté super ludique du tournage. Par exemple, la parenthèse du stage à l’armée nous a fait beaucoup de bien, on tournait près de Pau, avec des jeunes du coin. La forêt également était un formidable espace de jeu, tout y devenait possible.

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Thomas Cailley a tourné Les Combattants dans l’ordre chronologique du scénario. C’est agréable pour un acteur ?
Il me semble que les personnages ne changent pas, ce ne sont pas des malades qui guérissent. En revanche, ils s’ouvrent l’un à l’autre. Tourner dans l’ordre m’a permis de ne pas chercher à psychologiser Madeleine. Je pouvais me contenter de me laisser influencer par les scènes tournées la veille pour trouver son état émotionnel du lendemain, sans passer par l’intellect. En plus, Kevin Azaïs est le frère de Vincent Rottiers, avec qui j’ai tourné mon premier film, Les Diables. Donc je me sentais connectée à lui, il a insufflé beaucoup de fraîcheur.

Le comique de Madeleine vient de son très grand sérieux.
Oui, d’ailleurs je suis assez sujette aux fous rires, et là j’arrivais à y échapper, car je trouvais tout ça très logique. Pour moi le film repose sur un comique de collision davantage que sur un comique de dérision. Les deux héros sont à la fois ridicules et magnifiques dans leur manière d’inventer leur vie.

Le film joue beaucoup avec les stéréotypes de genre, c’est quelque chose dont tu étais consciente ?
Il se trouve que la vie est souvent plus inventive que la fiction. Donc même si on croise souvent des filles courageuses et des garçons timides, le cinéma montre peu ce genre de personnages. Les Combattants parle du féminin et du masculin d’une façon plus libre que ce que l’on a l’habitude de voir, ça fait du bien.

Comment es-tu arrivée sur le film d’André Téchiné ?
Ça s’est presque fait du jour au lendemain ! André m’a appelée, on s’est vu, il m’a dit que j’avais le rôle immédiatement. C’est nouveau pour moi de tourner avec un cinéaste aussi aguerri. André a des obsessions, il leur court après en permanence, c’est quelque chose que j’adore chez les cinéastes. Avec lui, j’ai appris à ne pas avoir peur de rater. Il est tellement clair dans ce qu’il attend que ça devient presque facile de mal faire, parce qu’il le voit tout de suite. Je me suis mise à son service comme une matière brute, il avait son idée du personnage, notamment celle qu’Agnès est quelqu’un qui vit les choses de manière extrêmement intense.

FRENCH RIVIERA André Téchiné Fidélité Films/Luc Roux


Est-ce difficile, pour une actrice, de jouer une femme qui a existé ?
C’est dur, surtout lorsqu’il s’agit d’un drame. Je me suis beaucoup documenté sur la vie d’Agnès Le Roux, mais c’est quelqu’un de très mystérieux, on a peu d’informations sur elle. De toute façon, le film est une interprétation, c’est la vision d’André. Je n’ai pas cherché à imiter ce que je pensais être Agnès, mais plutôt à me mettre à sa place : comment aurais-je réagi confrontée aux mêmes épreuves qu’elle ? Je suis donc partie de situations concrètes. J’ai aussi fait attention à toujours rester dans le présent d’Agnès. Comme le spectateur connaît sa fin tragique, il ne fallait pas que tout soit noir dès le départ. Le personnage brûle petit à petit, parce que la vie cogne trop fort en elle. Je cherchais en permanence à apprendre des choses sur moi plutôt qu’à me projeter vers une altérité que je ne connais pas. Je trouve ça assez honnête comme façon de faire.

Avec Guillaume Canet, vous construisez une relation complexe. Comment y avez-vous travaillé ?
Guillaume réfléchit énormément sur ce qu’il fait, au point de devenir une force de propositions dramaturgiques. Contrairement à moi qui suis plus instinctive, qui envisage les scènes les unes après les autres, il réfléchit beaucoup aux structures. Comme il faisait beaucoup de propositions, ça me permettait de rebondir, c’est agréable d’avoir un partenaire de jeu aussi investi.

Tu parles de jeu instinctif. C’est ta méthode ?
Le travail en amont d’une scène ou d’un personnage, c’est comme construire un ring. Le ring, c’est les règles, mais pour moi ce qui est essentiel, c’est l’accident, l’énergie, ce qui va se passer sur ce ring au moment précis où la caméra tournera. Ce n’est pas uniquement de l’instinct, d’ailleurs je m’intéresse beaucoup aux différentes techniques de jeu.

Tu vois beaucoup de films ?
Récemment j’ai vu Tip top de Serge Bozon, ça m’intéresse beaucoup. Dans son film, le jeu est en permanence montré comme tel, on est dans une distorsion totale par rapport au naturalisme. Du coup, lorsque quelqu’un joue « normal », il semble très étrange. C’est du cubisme !

Et le théâtre ?
Je fais une tournée cet été, on reprend Le Moche de Marius von Mayenburg, dans une mise en scène de Mariette Sandoz. Je suis très fière de ce projet, on a démarré avec rien et l’on va jouer l’année prochaine au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Ce qui me plaît au théâtre, c’est qu’on s’approprie nos limites et notre capacité à les dépasser. Au cinéma, ça me semble plus dur, le talent ne t’appartient jamais vraiment, tu peux être bon par hasard. Le théâtre permet de rester connecté avec soi-même, on est dans une expérience de vie très singulière, certains soirs c’est de la galvanisation collective.

Quels sont tes projets de cinéma ?
Je vais tourner dans le deuxième film de Léa Fehner, Les Ogres. Justement ça parle d’une troupe de théâtre itinérante.

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURA TUILLIER

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