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Chantal Goya nous raconte ses années Godard

  • Quentin Grosset
  • 2020-08-14

Avant de devenir la chanteuse espiègle de "Pandi Panda", "Bécassine" ou autre "Polichinelle", Chantal Goya avait entamé une carrière d’actrice. Elle nous a raconté.

Avant de devenir la chanteuse espiègle de Pandi Panda, Bécassine ou autre Polichinelle, Chantal Goya, qui a sorti cet été un disque intitulé Mes années Godard, avait entamé une carrière d’actrice. Dans les années 1960-1970, elle croisait autant Jean-Luc Godard que Marcel Carné, Claude Autant-Lara que Jean-Daniel Pollet. Elle a même failli jouer dans un film d’Alfred Hitchcock. Alors, pourquoi sa carrière au cinéma n’a-t-elle jamais vraiment pris? Elle nous a raconté.

Sur tous les kiosques à journaux de Paris, en avril 1966, la chanteuse Chantal Goya s’affiche sur les couvertures de l’hebdomadaire Le Nouveau Candide qui, en gros titre, se demande : « Ces horribles petites Françaises sont-elles vos filles ? » C’est difficile à imaginer aujourd’hui mais, à cette époque, Chantal Goya est subversive. Avec ses pommettes saillantes, son carré droit, sa frange et sa moue boudeuse, la jeune fille de 19 ans, aînée d’une famille bourgeoise de cinq enfants, a pourtant l’air bien sage.

Il y a quelques mois, aux côtés de Jean-Pierre Léaud, elle a été choisie par Godard pour devenir l’emblème de la jeunesse d’alors dans Masculin féminin, un film interdit en salles aux moins de 18 ans. Goya et Léaud sont surnommés « les enfants de Marx et de Coca-Cola » par le cinéaste. Car, mobilisée politiquement contre la guerre du Viêtnam et fascinée par la culture américaine, cette nouvelle classe adolescente issue du baby-boom semble révélatrice d’un tournant sociologique.

Entre révolte et conformisme, elle s’affirme de plus en plus dans la sphère publique et aborde sans ambages des sujets tels que le sexe, la prostitution, la contraception ou l’avortement. Pendant que les enfants twistent sur les rythmes yé-yé diffusés par l’émission de radio Salut les copains, les parents crient, les portes claquent. Soudain, ils prennent peur : comment, par l’entremise malicieuse de Godard, cette dangereuse et coquette chanteuse est-elle devenue l’une des voix de cette génération ?

Le cinéaste la repère dans l’un de ses premiers scopitones, en 1965. Elle y chante C’est bien Bernard, une histoire inoffensive de virée en voiture le samedi soir, sans l’autorisation des parents. C’est Daniel Filipacchi, propriétaire du magazine papier dérivé de Salut les copains, mais également éditeur des Cahiers du cinéma, qui présente Goya à Godard. « J’ai eu rendez-vous avec lui au café du Théâtre des Champs-Élysées. Il me regardait bizarrement et me semblait inquiétant avec son grand imperméable. Il m’a bien observée, puis m’a dit que j’étais ce qu’il cherchait, que je commençais le lendemain », raconte Chantal Goya, qui n’est jamais passée par les écoles de théâtre et précise que c’est justement ce qui semblait intéresser Godard. « Ma seule expérience au cinéma se résumait alors à de la figuration, lorsque j’avais 15 ans, sur Charade de Stanley Donen. Avec une amie, on est allées sur le décor et je voulais à tout prix voir Audrey Hepburn. J’ai donc demandé à une petite soubrette qui donnait des gâteaux aux acteurs de me prêter son tablier pour me faufiler en douce sur le plateau. Je suis tombée nez à nez avec Hepburn, qui m’a trouvée très drôle et m’a fait engager comme figurante. »

Dans son bureau à Pigalle, au milieu des costumes du Chat botté, de Guignol, ou du lapin qui a tué un chasseur, Goya se souvient du tournage de Masculin féminin. « On n’a rien fait comme Godard voulait, on décidait tout ! À un moment, avec Marlène Jobert, il nous a demandé de nous mettre nues pour une scène dans une salle de bains. Nos silhouettes devaient bouger derrière des vitres dépolies. Moi, j’étais enceinte, je ne voulais pas être à poil, et je ne voulais embrasser personne. Je me suis cachée sous le lavabo et Marlene se faisait passer pour moi. »

Dans le film, le personnage de Goya fait tourner la tête de Jean-Pierre Léaud. Sur le tournage, c’est Godard qui vacille. La vedette attire sur le plateau une presse à laquelle le réalisateur est peu habitué : Elle, Paris Match, Mademoiselle Âge Tendre… Mais le cinéaste ne se laisse pas faire : « Un jour, il nous avait collés devant un écran de cinéma en nous disant qu’il allait nous montrer un très joli film, Sissi impératrice. Au final, il nous a diffusé un film porno ! J’étais la porte-parole alors je lui ai dit : « non mais dis donc, tu es un gros menteur toi ! » Il en faut plus pour me perturber, il n’a pas réussi son coup. »

À la sortie du film, l’actrice reçoit un Prix d’interprétation des mains de Monica Vitti au festival de Sorrente. Puis elle rejoint la prestigieuse agence d’artistes William Morris et enchaîne, deux ans après, avec L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste de Jean-Daniel Pollet, réalisateur discret, proche des auteurs de la Nouvelle Vague. « Je ne me souviens plus vraiment de lui, il est mort, non ? », se demande Goya qui, dans ce film, joue une provinciale égarée recueillie par un tailleur burlesque (Claude Melki), une prostituée (Bernadette Lafont) et son amant souteneur (Jean-Pierre Marielle). « Si je n’ai pas de souvenirs de Pollet, c’est qu’il n’était jamais sur le plateau, il était en pleine crise avec sa petite amie. Marielle et Lafont réécrivaient le script et me donnaient leurs indications. Je n’arrive pas à me projeter dans un personnage quand je lis un scénario, j’ai besoin qu’on me le raconte. »

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L’amour c’est gai, l’amour c’est triste de Jean-Daniel Pollet

Cette inadaptation à des exigences de tournage trop figées, c’est peut-être ce qui a empêché Chantal Goya d’embrasser une véritable carrière d’actrice. Car, si ce n’est quelques apparitions dans des films de Philippe Labro, Didier Kaminka ou Pierre Tchernia, la chanteuse a raté presque toutes ses auditions, souvent parce qu’elle paraissait trop jeune. Elle s’est même parfois fait renvoyer. « J’ai des anecdotes effrayantes. J’étais venue pour un film de Marcel Carné. Il me donnait beaucoup d’ordres, trois mètres devant, quatre mètres à gauche, deux mètres à droite… Je lui ai dit : “Oh ! Mais Godard ne fait pas tout ça !” Et j’ai aussi fait des trous dans le buffet prévu pour la scène suivante. J’ai été virée. Ensuite, c’est Claude-Autant Lara qui voulait me rencontrer. Lui, il faisait des travellings avec sa chaise à bascule, il avançait et il reculait. Je lui disais : “Arrêtez, je vais vomir !” Alors j’ai été encore virée. J’allais à la boulangerie prendre un éclair au chocolat pour me consoler. » De la même façon, Hitchcock l’invite à rejoindre le casting de L’étau en 1968. Pas de chance, Chantal est enceinte et doit être remplacée par Claude Jade.

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Avec Godard pendant le tournage de Masculin Féminin

Attendant patiemment son tour, elle se consacre donc à l’éducation de ses enfants. Jusqu’à ce que l’animatrice Maritie Carpentier l’appelle au pied levé en 1974 pour remplacer Brigitte Bardot dans une émission spéciale sur Sylvie Vartan. Le mari de Chantal Goya, Jean-Jacques Debout, lui compose une chanson dont le titre scellera désormais son image : Les Petites Filles modèles. En quelques minutes, Goya bascule du cinéma à la chanson pour enfants. Sa dernière apparition sur grand écran, dans Absolument Fabuleux de Gabriel Aghion, date de 2001. Jouant avec dérision sur son personnage, elle interprète une version techno et kitsch de Bécassine. Pas son plus grand rôle. « Ils m’ont fait venir sur le décor à 6 heures du matin et j’ai tourné à 21 heures, je me suis vraiment ennuyée dans ma loge. Je me suis dit que le cinéma, ce n’est décidément pas pour moi. Ou alors, il faudrait que j’aille voir Pixar. » Un peu déçue, elle s’est donc précipitée vers la boulangerie pour s’acheter une réconfortante pâtisserie sucrée.

Masculin Féminin de Jean-Luc Godard est actuellement disponible sur MUBI

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