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« Un jeune chaman » de Lkhagvadulam Purev-Ochir : portrait d’une Mongolie moderne

  • Enora Abry
  • 2024-04-09

[Critique] Ze, 17 ans, partage sa vie entre le lycée et son rôle de chaman. Un équilibre précaire qu’un premier amour va faire vaciller… Avec une grande simplicité, la réalisatrice mongole signe un premier long-métrage fort sur son pays natal, partagé entre les traditions et une intense soif de liberté.

Si les premières images (une séance de chamanisme dans un tipi enfumé au milieu de la campagne) laissent présager un récit mystique, la suite est tout autre. Avec un changement d’esthétique assez radical (de longs plans sur des immeubles gris marqués par l’architecture cubique héritée de l’URSS), la réalisatrice nous emmène à Oulan-Bator (capitale de la Mongolie), pour y suivre son héros, Ze. Cet adolescent de 17 ans (incarné par Tergel Bold-Erdene, récompensé pour ce rôle du Prix d'interprétation à la Mostra de Venise dans la catégorie Orizzonti), concilie simplement sa vie de lycéen studieux à celle de chaman jusqu’au jour où il tombe amoureux d’une jeune fille fougueuse et réfractaire aux rites chamaniques, Maralaa. À son contact, il a l’impression de perdre ses pouvoirs.

Avec cet amour naissant et pudique, Lkhagvadulam Purev-Ochir explore les tensions qui animent la société mongole moderne -  entre la tradition (représenté par Ze) et l’envie de nouveauté (incarnée par Maralaa). Pour suivre Ze dans ses expériences, la caméra passe naturellement d’espaces vierges et lumineux (prairies et montagnes) à des lieux sombres ultra-modernes (appartements de cité, boite de nuit aux néons rouges) et montre ainsi la nature hétérogène des modes de vie des nouvelles générations mongoles. Et si Ze est en proie aux doutes (quelques plans filmés en plongée montrent le poids des esprits sur ses épaules lorsqu’il décide de vivre sa vie d’adolescent - en allant en boîte de nuit par exemple), il s’abandonne tout de même à cette première idylle touchante sans renier sa profession - prouvant ainsi que croyance et liberté ne sont pas inconciliables. 

Un jeune chaman de Lkhagvadulam Purev-Ochi, Arizona Distribution (1h43), sortie le 24 avril.

TROIS QUESTIONS À LKHAGVADULAM PUREV-OCHIR 

Votre premier court-métrage Mountain Cat (2020) - sur une adolescente troublée à la recherche d’une guérison spirituelle - avait déjà pour thème le chamanisme. Quelle est votre relation avec cette religion ? Et à quel point est-elle importante dans la Mongolie d’aujourd’hui ? 

En Mongolie, c’est très commun. On peut trouver des chamans facilement. Mais ça représente bien plus qu’un simple rituel, c’est une manière de penser, une philosophie de vie. Dans notre monde capitaliste, le chamanisme est une manière de retrouver une connexion à ceux qui nous entourent et à ceux qui nous ont précédés [lors des séances, les chamans entrent en communication avec les ancêtres, ndlr]

En ce qui me concerne, j’ai un chaman de famille. La première fois que je l’ai rencontré, il était très jeune, aux alentours de 20 ans, et il avait des tatouages sur les bras - ce qui m'avait paru étrange. C’est là que m’est venue l’idée du film. 

Votre personnage principal est aussi à un moment charnière de son adolescence entre la fin du lycée, le premier amour et les premières expériences sexuelles. Ce sont des thèmes que vous avez déjà expérimenté dans votre deuxième court-métrage Snow in September (pré sélectionné aux César du meilleur court-métrage 2023)... 

Snow in September parle aussi d’un adolescent [qui est amoureux de sa voisine de classe, ndlr] mais il se fait manipuler par une femme plus agée [prétenduement une de ses voisines, ndlr] qui l’embrasse, éveille son désir, avant de disparaitre. Une fois disparue, l’adolescent ressent encore sa présence et il la cherche. C’est un peu la même chose dans Un jeune chaman, le personnage est à la fois spirituel - il ressent toujours la présence des ancêtres quoiqu’il fasse - et physique. Et entre ces deux mondes, il y a une tension. Je pense que c’est ce que nous sommes en tant que Mongoles : on passe notre vie à naviguer entre ces deux univers, entre modernité et traditions. Mais, grâce à mon film, je veux que les gens comprennent qu’on peut avoir les deux. 

La musique est très importante dans votre film. On entend à plusieurs reprises la guimbarde mongole (le personnage principal en joue lors de ses séances et même pendant la nuit pour endormir sa sœur). Qu’est-ce que cet instrument représente pour vous ? 

C’est un instrument qui est beaucoup utilisé dans la musique traditionnelle mongole mais il a une place particulière dans les rites chamaniques. Quand un chaman veut se connecter aux esprits, il peut chanter, se servir d’une sorte de flûte ou jouer de la guimbarde. Mon chaman de famille, lui, jouait de la guimbarde. C’est un instrument avec un son tellement particulier, complètement hypnotique. Je voulais m’en servir pour que l'audience devienne méditative. Mon film est fait pour se relaxer aussi, pour respirer, pour expérimenter des sensations sur la durée et la guimbarde mongole permet de mettre les spectateurs dans cet état d’esprit. 

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