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Les jeux de simulation

  • Erwan Higuinen
  • 2019-12-19

Vis ma vie de chauffeur routier, d’agriculteur, de conducteur de bus ou d’engins de chantier. Loin des univers imaginaires et du grand spectacle des blockbusters, les jeux de simulation s’attachent à reproduire dans les moindres détails des métiers et des situations proches du quotidien. Ce pourrait être aride, triste et ennuyeux, mais certains d’entre eux rencontrent pourtant un vrai succès d’année en année, à l’image du phénomène Farming Simulator. Un succès dont on aurait peut-être tort de s’étonner.

L’homme veut un ticket. Trajet simple, tarif normal, 2,20 € s’il vous plaît. Et voilà votre monnaie : huit pièces de 2 €, une de 1 €, une de 50 centimes, une de 20 centimes et une de 10 centimes. Un coup d’œil dans le rétroviseur pour vérifier que tout le monde est monté et on referme les portes. Clignotant à gauche, retour sur la chaussée : en route pour le prochain arrêt. Le jeu s’appelle Bus Simulator 19, un titre si explicite qu’il se passerait presque de commentaire. Mais attention : ça ne rigole pas. Si, au volant de votre noble véhicule, vous dépassez la vitesse autorisée ou vous grillez un feu, les conséquences financières se feront vite sentir. Bienvenue dans le monde de la simulation. Au temps jadis (les années 1980-1990), c’était d’abord des activités spectaculaires que les concepteurs de jeux se plaisaient à reproduire. C’était l’âge d’or des simulateurs de vol, de Flight Simulator et des jeux de Sid Meier, Solo Flight, F-15 Strike Eagle, ou Silent Service pour les sous-marins. Mais les temps ont changé, et, aujourd’hui, des activités a priori moins glamour s’offrent à nous. La vie de chauffeur de bus, donc, ou de train, ou de camion. Celle d’agriculteur, aussi, avec Farming Simulator dont les différentes versions se sont vendues à travers le monde à plus de 15 millions d’exemplaires.

Bus Simulator

PROPOSITION RADICALE

«En France, on estime le nombre d’agriculteurs à près de 500000, souligne Bruno Giacobbé, fondateur du site simulagri.fr et spécialiste de la série. Avant Farming Simulator, aucun jeu ne représentait ce milieu. L’agriculture est un domaine riche de savoirs, de science, mais aussi de technologies. Aujourd’hui, les tracteurs ont des GPS avec de l’autoguidage, les pulvérisateurs sont capables de détecter une mauvaise herbe… Dans Farming Simulator, on retrouve tout ce matériel dernier cri. Quoi de mieux pour les enfants, très souvent passionnés par le métier de papa ou de maman, que de lancer une partie pour recréer la ferme familiale et se faire la main?»

Le jeu s’appelle Bus Simulator 19, un titre si explicite qu’il se passerait presque de commentaire. Mais attention : ça ne rigole pas.

Même quand l’hérédité n’est pas de la partie, une bonne part de l’attrait de ces simulations réside dans leur manière de nous offrir un monde – et pas seulement des activités. Ce n’est pas un hasard si l’une des meilleures simulations ferroviaires a pour titre Train Sim World. L’objectif y est naturellement de conduire correctement son train, mais rien n’interdit d’aller s’asseoir sur un siège passager, d’explorer les wagons et les quais, ou même de descendre sur les rails. Ne pas croire que la transgression est réservée aux adeptes de GTA : dans Train Sim World ou dans Farming Simulator aussi on peut faire (un peu) n’importe quoi.

Train Sim World

L’enseignant et chercheur Mathieu Triclot, auteur de Philosophie des jeux vidéo, s’est penché sur le cas de ces simulations. «J’ai commencé par m’intéresser à Street Cleaning Simulator, un simulateur de motocrottes, 
dit-il. Ce qui était fascinant, c’était le caractère trivial de l’activité. D’autant plus que la ville était particulièrement propre. On aurait pu imaginer un titre sublime où il aurait fallu se battre contre des montagnes d’immondices, mais, en réalité, il n’y avait quasiment rien à faire. Ça me paraissait une proposition ludique très radicale parce que le fun n’est pas mis en avant. C’est du travail “pour de faux”, mais qui conserve les propriétés du travail “pour de vrai”. Où réside le plaisir du jeu? Dans Street Cleaning, quand on progresse, on peut ajouter des balais-brosses à la motocrotte. Et, cerise sur le gâteau, on peut les contrôler individuellement, chacun a sa propre touche! C’est le rêve! On est, il me semble, dans un plaisir qui est celui du modélisme, d’une maquette actionnable et immersive.»

JEUX D’ACTIONS

Le philosophe relativise aussi l’impression de banalité des univers simulés. «J’ai le souvenir qu’un écran de chargement d’Euro Truck Simulator demandait: “Qui n’a jamais rêvé de piloter un gros camion ?” Certes, ce n’est plus l’avion de chasse, mais c’est tout de même le gros véhicule ou l’engin de chantier qui fait rêver l’enfant en nous! Il reste du désir à investir.» Comme avec les véhicules de chantier du tout aussi fascinant Construction Simulator 2, c’est une version très technique des jeux d’imitation qui se déploie. Une version qui frappe, aussi, par son rapport au temps. Une moissonneuse-batteuse ou un bus, ce n’est pas un vaisseau intersidéral ou une Formule 1. Et pourtant, l’effet produit, quasi hypnotique, n’est pas si différent que l’on traverse tranquillement de nuit les États-Unis d’American Truck Simulator ou que l’on file sur les circuits futuristes de Wipeout. Lenteur et très grande vitesse, même combat. À côté des jeux dits d’action (nerveux, brutaux), ces simulations s’imposent comme des jeux d’actions au pluriel : d’actions multiples, précises et, à bien y réfléchir, pas nécessairement plus répétitives que celles du gros jeu moyen. D’ailleurs, l’ennui ne réside pas forcément là où on le croit. «Je trouve très ennuyeux certains FPS multijoueur où je me fais liquider en quelques secondes et dois attendre à ne rien faire en “mode spectateur”, avoue Bruno Giacobbé. Au moins, dans Farming Simulator, il y a toujours quelque chose à découvrir.» 

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