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Le huis clos ferroviaire

  • Jérôme Momcilovic
  • 2013-08-12

Tout a commencé, on le sait, en gare de La Ciotat, où devaient se nouer pour toujours le destin du cinéma et celui des trains. Poussé par cet élan fondateur, le train a traversé tous les genres, western, romance (sur combien de quais, pour combien d’adieux ?), action, burlesque, ou film noir. Il a métaphorisé des présages de mort (Le train sifflera trois fois, Fred Zinneman) aussi bien que des élans érotiques rendus contrebandiers par la censure (La Mort aux trousses, Alfred Hitchcock). Mais le train a aussi dicté son propre genre, quoique ce genre prenne, à chaque fois, le masque d’autres genres. Il se prête à tout : policier (Le Crime de l’Orient-Express, Sidney Lumet), espionnage (Une femme disparaît, Hitchcock), film noir (L’Énigme du Chicago express, Richard Fleischer), romance (Shanghai Express, Josef von Sternberg) ou comédie douce-amère (À bord du Darjeeling Limited, Wes Anderson). Et il se signale, donc, quand les bornes du film épousent (presque) parfaitement celles du voyage en train. Genre fascinant, qui touche au cœur du cinéma, tant l’écrin du voyage en train forme, pour reprendre le mot de Deleuze, un seul et même « bloc de mouvement-durée ». La durée est fixe, et c’est tout le sel du huis clos ferroviaire que d’imposer le couperet du temps à la résolution de ses énigmes. Le temps lui-même devient un train, découpé en compartiments par les arrêts réguliers en gare : sur les quais où plusieurs fois le voyage se suspend, les cartes de l’intrigue sont toujours rebattues – quelqu’un descend du train, ou alors quelqu’un y monte, qui changera la donne à l’intérieur. Le mouvement, lui, est cadré par l’extrême exiguïté du décor, qui n’offre à la mise en scène qu’une palette rudimentaire. Qu’importe : les grands cinéastes sont de toute façon économes, il leur suffit de quelques portes (celles des compartiments, dont elles gardent les secrets étanches), quelques couloirs, quelques vitres (par où passe, comme un rêve, l’image du reste du monde), parfois d’un simple reflet (la sublime résolution du film de Fleischer). Dans le cadre intense de ce petit théâtre des passions (« chaque train comporte sa cargaison de pêchés », entend-on chez Sternberg), que se passe-t-il ? Toujours, une transformation : du voyage, les personnages sortent toujours changés, devenus amoureux (Shanghai Express), héros (Le Grand Attentat d’Anthony Mann), parfois cadavres (L’Énigme du Chicago express). Et cette transformation les laissent groggy, comme tirés d’un étrange sommeil – le voyage d’Une femme disparaît est filmé littéralement comme un cauchemar. Qu’importe l’horaire : au cinéma, tous les trains sont des trains de nuit.


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