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Nadia Tereszkiewicz : « Si l’intrigue de ''Mon Crime'' se passait de nos jours, elle ne serait pas du tout drôle »

  • Damien Leblanc
  • 2023-03-07

Héroïne cette semaine de « Mon Crime », comédie policière de François Ozon où elle incarne une jeune actrice des années 1930 accusée du meurtre d’un producteur, Nadia Tereszkiewicz n’en finit plus d’enchaîner les rôles éclatants. Alors qu’elle vient de recevoir le César du meilleur espoir féminin pour « Les Amandiers » et qu’elle sera bientôt à l’affiche de « La Dernière reine » de Damien Ounouri et Adila Bendimerad ou de « L’Île rouge » de Robin Campillo, la comédienne de 26 ans, grande amoureuse des voyages dans le temps que permet le cinéma, nous a parlé de ses différentes expériences de tournage, de la gestion de son image à l'ère des réseaux sociaux et de son attirance pour les films européens.

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Il y a un an, on te rencontrait pour Babysitter de Monia Chokri. Un film qu’on peut rapprocher de Mon Crime, car tous deux traitent avec fantaisie des rapports hommes-femmes et s’amusent à interroger les codes de la domination masculine.

J’aime en effet cette idée de jouer avec les clichés. Que ce soit dans Babysitter ou Mon Crime, on part de l’image de la blonde et la brune - la première étant prétendument écervelée et la seconde supérieurement intelligente - et ensuite on renverse les attentes. Dans Mon Crime [où elle joue avec Rebecca Marder, qui incarne sa colocataire et avocate, ndlr], ce sont deux filles qui se complètent, qui se soutiennent, qui sont pleines de malice, d’intelligence, de drôlerie et d’opportunisme - mais opportunistes parce qu’elles ne peuvent pas faire autrement et veulent s’en sortir à tout prix. Et François Ozon détourne tout ça pour questionner les rapports hommes-femmes avec du recul. Babysitter - très stylisé dans son imagerie proche des années 1970 - et Mon Crime - qui reconstitue le Paris des années 1930 - sont des comédies où la distance de l’époque et du style permet d’aborder des sujets graves avec un ton léger et une théâtralité assumée. Je pense que si l’intrigue de Mon Crime se passait de nos jours, elle ne serait pas du tout drôle.

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Comment t’es-tu retrouvée à incarner le rôle principal de ce film où François Ozon renoue en quelque sorte avec la tonalité de 8 femmes ?

Quand on m’a proposé de passer le casting pour François Ozon, c’était déjà fou. Car je connais ses films depuis que je suis toute petite, je dansais sans arrêt sur 8 femmes et sur Pile ou face[titre de Corynne Charby que chante Emmanuelle Béart dans 8 femmes, ndlr].

Je me souviens aussi être allée voir Dans la maison parce que je voulais à l’époque être prof de Lettres. J’habitais dans le Sud [elle a longtemps fait une école de danse à Cannes, qui l'a amenée à voyager à travers l'Europe, ndlr],je devais prendre le bus pour aller au cinéma et j’avais tellement aimé le film que j’y étais retournée une deuxième fois.

Mon Crime me faisait très envie, ne serait-ce que pour le plaisir de se plonger dans ces décors et costumes de l’âge d’or du cinéma. Je voulais jouer dans une comédie et savoir que je tournerai peut-être avec le maître du genre m’excitait beaucoup. Parce que François Ozon a évidemment fait de grands drames mais ce sont surtout ses comédies qui m’ont marquée par leur modernité. En lisant le scénario de Mon Crime, j’étais étonnée de toutes les résonances avec l’actualité : il y a le contexte historique précis des années 1930, où les femmes n’avaient ni carnet de chèques ni le droit de vote, mais le film renvoie aussi à un combat contemporain. François a insufflé du #MeToo dans la pièce de théâtre d’origine [écrite par Georges Berr et Louis Verneuil en 1934, ndlr] qui, on peut le dire, était misogyne.

Et sur le tournage, comment François Ozon dirigeait-il sa troupe de comédiens ?

Il est très drôle François. Au point que c’est même compliqué parfois. Car c’est un plateau joyeux mais perfectionniste, précis et minutieux, où tout est contrôlé et où François est très concentré. Et derrière la caméra, il peut faire des blagues hilarantes qui vous font avoir des fous rires. Sauf que lui reste sérieux et n’est pas du tout en train de rigoler alors qu’il vient pourtant de balancer une blague. Il a envie de jouer, c’est quelqu’un de rieur qui aime être avec ses comédiens. Et c’est agréable de se sentir aimée par son réalisateur. Il y a comme un langage où il nous partage tout, on fait partie du processus. Depuis la préparation jusqu’au montage, il nous demande notre avis.

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Ton rôle peut aussi évoquer Les Amandiers, où tu jouais également une actrice de théâtre pour qui la réalité et la fiction s’imbriquent. Le film de Valeria Bruni Tedeschi reste donc une expérience extrêmement positive pour toi ?


C’est un tournage qui a changé ma vie de jeune comédienne. Cela a été professionnel de bout en bout, il y avait une énergie que je n’oublierai jamais. Le travail avec Valeria a été vertigineux, tout se passait dans le respect et dans un consentement mutuel permanent. Donc moi je ne peux pas parler d’une mauvaise expérience de plateau que je n’ai pas vécue [le journal Libération a titré en novembre 2022 sur « Le scandale des Amandiers » en révélant que l’acteur du film Sofiane Bennacer était accusé de viols antérieurs au tournage et que la production était au courant de ces accusations, ndlr]. Valeria m’a guidée pour trouver une vérité intérieure et m’a offert un abandon dans le jeu que je garde maintenant pour tous mes rôles. Il y a un avant et un après Les Amandiers pour moi. Je suis fière de ce film qui mêle tout ce qui m’anime : le théâtre, la danse, l’art, la musique, les mots... Il parle de l’investissement total que c’est d’être comédien. Alors on n’est peut-être pas tous d’accord, moi par exemple je ne pense pas que ce soit une question de vie ou de mort de jouer, mais le sujet est fort. Et le film raconte la fougue de la jeunesse : on vient de faire une tournée d’avant-premières pour Mon Crime et j’ai rencontré beaucoup de jeunes gens qui me disaient ne pas s’être remis des Amandiers.

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« Sur les réseaux sociaux, je suis un peu à la ramasse »

Cette nouvelle exposition médiatique dont tu bénéficies est-elle difficile à gérer ? Tout ce qui est réseaux sociaux et sollicitations n’empêche pas de garder la passion du cinéma ?


Je me dis surtout que j’ai une chance incroyable. On m’a offert des rôles dingues. Là, j’ai tourné pendant trois mois en forêt bretonne, avec Benoît Magimel et je jouais une femme à barbe, en 1890 [pour La Rosalie, de Stéphanie Di Giusto, ndlr]. Quant à la gestion de mon image, c’est en effet nouveau pour moi, donc je me suis mise sur les réseaux et je fais comme je peux… Mais à chaque fois je demande mille conseils, je ne sais pas s’il faut poster, pas poster, je suis un peu à la ramasse. J’ai ceci dit la chance d’être portée par une maison, Dior, qui aime véritablement le cinéma. Ce sont des femmes qui me soutiennent et m’aident. Parce que chez moi, j’ai juste deux paires de jeans et trois t-shirts et avant c’était une angoisse quand j’allais présenter une séance publique, je n’avais pas envie d’y aller. Moi je n’ai pas de goût à la base et là j’ai quelqu’un qui me crée des styles. S’il y a des points évidemment stressants dans la promotion d’un film, je me sens très soutenue.

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Tu as également tourné dans le prochain film de Robin Campillo, L’Île rouge, qui attend une date de sortie.


C’est un film intime, auquel Robin tient depuis longtemps, avant même 120 Battements par minute je crois. Cela se passe à Madagascar à la fin des années 1960-début des années 1970. On suit, à travers le regard d’un enfant sur ses parents, la fin de la colonisation et ce que cela représente d’être expatrié. Moi je joue une femme de militaire, mère de trois enfants. Et je suis heureuse de voir que c’est à travers de tels rôles que je peux m’engager. Le cinéma est aussi une manière de répondre aux questions politiques qu’on se pose aujourd’hui. Alors le cinéma n’a pas réponse à tout, mais il peut constituer une réponse à sa façon. Je peux incarner au cinéma des femmes des années 1930, 1960, 1980 ou même de 1517 dans La Dernière reine [qui sortira en salles le 19 avril, ndlr]. C’est un petit rôle mais qui me tient à cœur : je joue une Scandinave esclave, qui est très combative, et chaque scène était un défi. Ce film nous donne à voir l’époque de la construction d’Alger d’un point de vue féminin. Et pour revenir à L’Île rouge, il y aura quelque chose de l’ordre de l’expérience sensorielle. J’ai eu la sensation sur le plateau qu’on était au service d’une mise en scène très personnelle.

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Concernant tes choix de rôles, rappelons que ta marraine pour les César 2023 était Marion Cotillard. Aurais-tu envie de faire une carrière similaire, avec des films hollywoodiens ?


Pour moi, Marion a une carrière parfaite. Elle peut tout jouer, elle se plonge autant dans la comédie que dans des films à l’étranger, comme ceux de Christopher Nolan, ou bien des films où elle parle polonais. Il y a aussi de grands drames, comme La Môme. Elle se donne à corps perdu dans ses rôles et c’est une chose qui me bouleverse. En plus elle a commencé avec Dennis Berry [cinéaste franco-américain décédé en 2021, qui avait dirigé Marion Cotillard en 1996 dans le téléfilm Chloé, ndlr], ce qui est aussi mon cas puisqu’il m’a offert mon premier rôle principal avec Sauvages. Dennis est décédé pendant le tournage des Amandiers et c’est un lien fort qui nous a réunies avec Marion [Nadia Tereszkiewicz a rendu hommage à Dennis Berry et à Anna Karina en recevant le 24 février le César du meilleur espoir féminin, ndlr]. Et sa carrière d’actrice m’inspire, dans le sens où je me suis découvert récemment une cinéphilie européenne et que j’ai très envie de travailler avec des cinéastes étrangers européens. Si les États-Unis m’appellent, évidemment je cours - cela fait rêver les grands films hollywoodiens comme ceux de Nolan. Mais je n’ai pas grandi avec ce cinéma-là, ce n’est pas forcément ma première envie. J’ai récemment rencontré Juho Kuosmanen, le réalisateur finlandais de CompartimentN°6. Ce cinéma nordique, avec aussi Thomas Vinterberg ou Joachim Trier, me fait rêver. J’aimerais un jour en faire partie. Comme l’Italie, avec une cinéaste comme Alice Rohrwacher.

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Et quel est le dernier film vu au cinéma qui t’a séduite ?

Là j’ai vu Aftersun et je pense qu’il faut que j’écrive une lettre à Charlotte Wells, même si je n’ai encore jamais fait ça. Ce film m’a parlé à un endroit inattendu et le portrait de cette relation père-fille m’a bouleversée. Je pleurais à chaudes larmes. Charlotte Wells a 35 ans et fait partie d’une nouvelle génération de réalisatrices passionnantes. J’ai aussi rencontré à Cannes Antoneta Alamat Kusijanovic, réalisatrice croate qui a fait Murina [Caméra d’or au Festival de Cannes 2021, ndlr], avec qui j’échange actuellement. C’est ça que je trouve dément, quand un de vos films voyage dans plusieurs pays, ça crée des rencontres, des discussions, cela donne des envies possibles. Le cinéma fait traverser des frontières.

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Tout ceci fait peut-être aussi écho à ton histoire familiale, toi qui as une mère finlandaise et un père d’origine polonaise ?

Oui, ma langue maternelle c’est le finnois. Et je suis bilingue italien. J’ai grandi dans une école italienne, je me sens déjà assez européenne à la base et c’est encore plus le cas aujourd’hui. J’ai voyagé toute mon enfance avec la danse, j’ai traversé plusieurs pays d’Europe et cela prend sens de me dire aujourd’hui que mon métier me permet de découvrir diverses cultures. J’avais des cours d’hébreu pour la série Possessions et des cours d‘arabe pour La Dernière reine. Même pour quelques jours de tournage, j’ai passé plusieurs semaines en Algérie afin d’apprendre la langue. Je suis émue par l’idée que je peux accéder par le cinéma à différents pays et rencontrer des personnes qui ont un autre regard sur le monde.

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