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« Au cœur du bois » : le peuple enchanté

  • Timé Zoppé
  • 2021-12-06

Le réalisateur d’« Au bord du monde » plante sa caméra au cœur du bois de Boulogne et laisse se déployer la parole de ses travailleuses du sexe. Dans une ambiance de conte, celles-ci donnent un éclairage inédit sur leur métier.

Avec ce titre et ce sujet, on pense immédiatement au Bois dont les rêves sont faits de Claire Simon. En interview, Claus Drexel nous a pourtant assuré avoir imaginé son documentaire avant de découvrir cet ambitieux et tentaculaire essai sur le bois de Vincennes sorti en 2016. Et dans les faits la comparaison ne tient pas, car les méthodes sont différentes : là où Claire Simon suivait, caméra à l’épaule et entre d’innombrables autres personnages magnétiques, une prostituée au grand cœur, Claus Drexel fait de cette profession le centre même de son film, recueillant en plans fixes les confessions d’une dizaine de travailleuses du sexe.

Pour chacune, il élabore un écrin enchanté, trouvant toujours une manière de magnifier, par un cadrage admirable et des lumières soignées, ces personnalités au parcours chaotique. S’il convoque le merveilleux propre au conte, jamais ce dispositif n’édulcore la réalité du « plus vieux métier du monde », qui est pourtant toujours parmi les plus précaires aujourd’hui. Assises devant une cabane de fortune qui leur sert à faire des passes de jour, à l’abri des regards, ou contre un arbre multiséculaire, drapées dans les ombres nocturnes, ou encore lovées dans le décor kitsch de leur camionnette aménagée, elles – pour la plupart des femmes trans – se livrent avec sincérité, réflexivité et verve sur leur parcours.

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Aux échos glauques, sensationnalistes ou révoltants (comme le meurtre de Vanesa Campos en 2018) qui nous parviennent, le documentaire oppose une vision pragmatique, dépeignant un quotidien mêlant entraide et rivalité entre prostituées, anecdotes de passes et problèmes financiers (avec notamment ces impôts qu’il faut payer, malgré un statut compliqué à déclarer). Loin du freak show, Au cœur du bois brosse un portrait sensible et nuancé d’un peuple de la forêt qui nous ressemble, au fond, bien plus qu’on ne le croit.

Au cœur du bois de Claus Drexel, Nour Films (1 h 30), sortie le 8 décembre

3Q À CLAUS DREXEL

Une seule personne témoigne anonymement. Pourquoi ?

Comme il y a une stigmatisation sociale des travailleurs et travailleuses du sexe, certaines personnes craignaient qu’on puisse les reconnaître. C’était compliqué de les convaincre de témoigner à visage découvert, mais c’était très important pour moi, je trouve que l’identification est difficile sans les visages. Et je me suis dit que si on avait une seule personne masquée dans le film, ça mettrait encore plus en avant le courage des autres.

Comment avez-vous trouvé la juste manière de filmer ?

C’est dur de faire des films pour le grand écran sans gros plans, mais je n’aime pas aller chercher l’émotion avec un insert sur une larme. Je ne voulais pas cisailler la parole, mais faire de beaux tableaux, laisser le temps à la parole, avoir du silence. Le film montre des extraits des discussions que j’ai eues avec chacune, sans bouger la caméra, que je plaçais à un ou deux mètres d’elles grâce au grand angle.

Après avoir fait ce film, quelle est votre opinion sur la prostitution ?

Ce qui me semble fondamental, c’est d’écouter les personnes concernées. Cette mise sous tutelle de la part des politiques, qui disent essayer de faire quelque chose de bien sans connaître le sujet, sans aller voir les intéressées, est irrespectueuse. Toutes les personnes que j’ai rencontrées, sans exception, trouvent que la loi sur la verbalisation du client, qui est au cœur du film, est épouvantable.

Image (c) Daisy Day Films

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