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SCENE CULTE : « Fanny et Alexandre »

  • Léa André-Sarreau
  • 2019-08-06

Film-testament qui synthétise beaucoup des obsessions d’Ingmar Bergman – la mort, la spiritualité, le rapport à l’autorité – Fanny et Alexandre (1982) est aussi à part dans la filmographie du réalisateur suédois : pour la première fois, il tourne avec des enfants. C’est que cette fresque existentielle, étrangement apaisée malgré la cruauté qui l’habite, est directement inspirée de l’enfance austère de Bergman. Au point que le cinéaste y rejoue, à travers le personnage d’Alexandre, sa propre découverte juvénile des pouvoirs de l’imagination contre l’autoritarisme, dans une séquence en forme de digression onirique et surnaturelle. Alors que leur père biologique vient de mourir, et qu’il va être remplacé auprès de leur mère par un évêque tyrannique, Alexandre et Fanny visionnent sur un écran de cinéma improvisé formé par une toile des images circulaires et colorées. Si l’on regarde de plus près le film, on s’aperçoit que Bergman l’a parsemé de plans tels que celui-ci : une scène de théâtre miniature en ouverture, un spectacle de marionnettes prenant vie à la fin. Ces mises en abyme sont des parenthèses de fiction, sorte d’échappées ésotériques qui adoucissent la réalité amère et violente des adultes.

Mais chez Bergman, la mort revient toujours plus forte, personnifiée sous des traits familiers, et alors que Fanny s’extirpe de ce doux songe, elle conduit son frère dans le salon où un fantôme bien connu les attend. Accoudé au piano, tout vêtu de blanc, il esquisse quelques notes morbides qui résonnent sous le plafond vide et se retourne pour lancer à ses enfants un regard embué de larmes. Comme chez Shakespeare, c’est le spectre terrifiant du père, plein de culpabilité, qui ne veut pas quitter le monde des vivants. Mais quand un champ-contrechamp en forme de dialogue silencieux entre Alexandre et son fils s’installe et dilate le temps, on sent que se joue en creux, davantage que le remord et la perte, la naissance d’un regard de cinéaste, qui sublime la mort de son père en un rituel magique et occulte. On a rarement fait plus beau grand écart entre mise en scène ascétique et croyance en les pouvoirs sacrés du rêve.

Image: Copyright Bodega Films

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