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Le Velvet Underground & le cinéma

  • Jérôme Momcilovic
  • 2016-06-05

Tout commence par une lumière blanche. Blême, plutôt : un petit matin qui ne réveille rien et prolonge au contraire, cruel, une nuit sans repos, pleine encore de « toutes les rues que tu as traversées » et qui échoue là, le dimanche, sur une aube précoce envahie par les notes d’une berceuse ironique. « Sunday Morning » est, en 1967, le premier morceau du premier album du Velvet Underground. Le deuxième album, qui va élaguer au rasoir ces restes mensongers de douceur, s’appellera White Light, White Heat (1968). Lumière blanche, chaleur blanche, d’une messe noire en plein jour, chantée par un arc électrique. Le troisième, qui porte le nom du groupe, The Velvet Underground (1969), se referme sur un morceau qui dit : si tu veux bien fermer la porte, je n’aurai plus jamais à voir le jour. Le quatrième et dernier, Loaded (1970), commence par cette question : « Who loves the sun ? »L’œuvre (courte, fulgurante) du Velvet Underground est peut-être d’abord le récit de cette relation contrariée avec la lumière, toujours trop blanche, toujours trop crue, si bien qu’il leur fallut d’emblée, sur les premières scènes que leur ouvrait Andy Warhol, s’armer de lunettes noires. Se protéger de la lumière blanche, qui brûle : comme tous les vampires.

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COMME UNE FABLE

Toujours ce choc violent de la lumière, dans la pénombre : le Velvet Underground est né sous le signe du cinéma. On ne trouvera nulle trace du groupe, pourtant, dans les histoires officielles des films. Ce rendez-vous-là fut manqué au milieu de l’année 1966, dans la foulée de l’enregistrement du premier album. Michelangelo Antonioni caresse l’idée de les faire venir à Londres afin de les filmer pour Blow Up. Et puis, non : le voyage est trop cher, les Yardbirds feront l’affaire. Idée saugrenue, de toute façon : on imagine mal Lou Reed, John Cale, Nico, Sterling Morrison et Moe Tucker dans le bain pop du Swinging London. Pas de salle dédiée au cinéma, donc, dans la riche exposition que consacre au groupe la Philharmonie de Paris. Mais des images, des morceaux de films, oui, tous revenus de cet incubateur underground où le Velvet fit ses gammes lugubres et visionnaires. Avant même qu’Andy Warhol ne devienne leur pygmalion, toute une faune gravite autour d’eux qui repousse les limites de la poésie, de la musique, comme du cinéma (notamment Tony Conrad, ou Piero Heliczer, qui tourne avec eux un petit film en 8 mm nommé Venus in Furs). Le rapport à la fois consubstantiel et secret du Velvet Underground au cinéma, un livre, sorti dans la foulée de l’exposition et titré sobrement du nom du groupe, l’interroge au fil d’un chapitre consacré au premier album. Avec une intuition magnifique, Philippe Azoury et Joseph Ghosn y étudient la composition de l’album comme celle d’un film, séquence par séquence. « Il est séquencé comment, le premier Velvet ? Comme une fable. Avant tout comme une fable. »De cette fable urbaine, désespérément urbaine, on a loué souvent l’acuité à la fois documentaire et poétique : la galerie d’éclopés et de junkies râpés par le bitume de la Bowery ou de Harlem, leurs vies approximatives rendues par les textes de Lou Reed. Mais s’en tenir aux textes en mettant de côté la musique, c’est oublier la mise en scène. C’est oublier la façon dont la musique fait entrer le temps dans les mots : temps anxieux et répétitif de « I’m Waiting for the Man », dépensé sur place dans l’attente du dealer ; temps élastique, infernal, des montées et des descentes d’« Heroin » ; temps sans bords, hors du temps, de « Sister Ray ». Les morceaux du Velvet Underground sont faits des deux matières avec quoi le cinéma est fait : de la lumière et du temps.

LA PEAU DU CINÉMA

Peut-être Warhol l’avait-il compris intuitivement, lui qui, au moment d’inviter le Velvet Underground à rejoindre la Factory en 1966, ne s’intéresse plus qu’aux films. D’ailleurs la musique l’intéresse peu, qu’il laisse à la discrétion du groupe. C’est comme un film qu’il les met en scène, et c’est en nabab underground qu’il impose une cover-girl, Christa Päffgen, dite Nico, au premier plan de sa superproduction faubourienne. Autour du Velvet Underground, il imagine une série de performances totales, mélange d’images, de musique et de danse appelé « Exploding Plastic Inevitable », une manière de cabaret renvoyant aux temps qui virent naître le cinématographe dans un espace incertain entre la science et la sorcellerie. Un film ahurissant de Ronald Nameth (Andy Warhol’s Exploding Plastic Inevitable with the Velvet Underground) devait archiver, en treize minutes d’images et de musique mixées dans le même jus d’hallucination archaïque, l’étrange pulsation de ces performances. Et si John Cale et Lou Reed y portaient des lunettes noires (pas Nico, qui est vêtue de blanc, qui est la lumière blanche incarnée), c’est que Warhol avait décidé de projeter ses films sur eux, sur leurs peaux pâles et leurs blousons noirs interférant devant les écrans. Il avait décidé, ainsi que le résument Azoury et Ghosn, de « se servir des silhouettes noires du groupe comme d’une surface sur laquelle écrire ». Savait-il que les précurseurs de la photographie avaient imprimé leurs premières images sur du cuir blanc, et qu’il remontait ainsi beaucoup plus loin que Lumière en faisant du Velvet Underground la peau même du cinéma ?

New York Extravaganza. The Velvet Underground
jusqu’au 21 août à la Philharmonie de Paris 

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