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« Un Grand voyage vers la nuit »

  • Éric Vernay
  • 2019-03-05

Après Kaili Blues, récompensé à Locarno en 2015, le deuxième film de Bi Gan a fait sensation à Cannes, notamment grâce à son plan-séquence de près d’une heure en 3D. Mais Un Grand voyage vers la nuit dépasse largement le simple tour de force technique. Avec ce stupéfiant polar onirique, le cinéaste chinois se pose en héritier crédible d’envoûteurs tels qu’Apichatpong Weerasethakul, Wong Kar-wai ou David Lynch.

Le jour de sa sortie en Chine, Un grand voyage vers la nuit a remporté 38 millions de dollars, dépassant ainsi le blockbuster américain Venom. Un exploit qui n’a pas tardé à susciter des réactions hostiles de la part des spectateurs – la plupart d’entre eux s’étaient fait duper par une campagne marketing qui promettait une petite comédie romantique. L’anecdote a de quoi faire sourire tant le deuxième film de Bi Gan n’a rien de la bluette standard. Le cinéma du jeune prodige de 29 ans impose un rythme volontiers déroutant. La narration refuse la linéarité, le temps a tendance à se dilater sans coupe de montage, ou à s’abolir en ellipses, les scènes s’écoulent et s’enchevêtrent les unes dans les autres, avec leur logique interne, fluide et organique, pour former l’équivalent audiovisuel d’un flux de conscience. C’était déjà le cas dans Kaili Blues, qui suivait l’itinéraire halluciné d’un poète raté.

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Une incursion mélancolique dans la psyché des personnages

Cette fois, on épouse les pensées mélancoliques d’un homme de retour dans sa ville natale, obsédé par une femme en robe de satin vert. S’il n’est pas poète – Luo est tueur à gage –, il s’exprime lui aussi en fin lettré, par le biais d’une voix off à la musicalité mystérieuse. Ses souvenirs se mélangent à ce qu’il vit, à ce qu’il perçoit, et vice versa. « Était-ce la dernière fois que je l’avais vue ? La mémoire humaine se rouille », médite ainsi Luo, tandis qu’à l’écran défilent des décors en ruine en de langoureux travellings. C’est dans cette atmosphère de fin du monde aqueuse, proche du spleen d’un Wong Kar-wai, que le film s’engouffre de l’autre côté du miroir, en 3D.

Le cinéaste scinde ainsi son film en deux parties à la façon d’un David Lynch ou d’un Apichatpong Weerasethakul. Après avoir creusé la profondeur de champ dans le premier mouvement en 2D, Bi Gan orchestre une plongée vertigineuse dans l’inconscient de son héros, un trip liquide en plan-séquence et en relief, aérien et éclairé aux néons, où les rêves surgissent de l’écran tels des feux de Bengale, éphémères et presque palpables, tandis que les signes, jusqu’alors nébuleux, trouvent leur sens dans la sensualité.

Un Grand voyage vers la nuit, de Bi Gan Bac Films (2h18). Sortie le 30 janvier

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