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Le huis clos terroriste

  • Jérôme Momcilovic
  • 2016-10-26

D’abord il y a toute la structure muette des gestes. Un lacis de trajets : à pieds, en voiture, en métro, sans autre bruit que la circulation autour. Des décors longés, auscultés, mesurés avec une discipline froide dont l’objet reste longtemps mystérieux. Des armes chargées, rangées ; parfois toute une quincaillerie qui, assemblée puis fourrée de chimie ou d’électronique, dessine doucement l’idée d’une bombe. Ou alors un corps, endormi et lové dans une malle, qu’on vient ranger derrière une trappe secrète : un kidnappé. Le spectateur n’est sûr de rien tandis qu’il se laisse hypnotiser par le ballet abstrait de ces gestes, qui d’ordinaire est réservé à autre genre. Les codes ici sont ceux du film de casse, sauf qu’il y a quelque chose de plus grand qu’une banque à braquer. C’est la réalité elle-même qu’on va mettre en joue, pour en faire naître une autre, dans les cendres. Dans Nocturama (Bertrand Bonello, 2016), un escadron d’adolescents aux motifs incertains déclenche une nuit de terreur à Paris. Dans Buongiorno, notte (Marco Bellochio, 2004), quelques membres des Brigades rouges enlèvent le président de la Démocratie chrétienne, Aldo Moro. Dans L’Ultimatum des trois mercenaires (Robert Aldrich, 1978), un ancien général fugitif prend, avec quelques autres, possession d’une base nucléaire pour obliger le président américain à révéler au pays les raisons véritables de la guerre du Viêt Nam. Dans Night Moves (Kelly Reichardt, 2014), trois militants environnementalistes font sauter un barrage au beau milieu de la nuit. Depuis le lieu des opérations, l’onde de leur coup d’éclat doit percer la gaze de mensonge qui, pour eux, recouvre insupportablement le monde.

Nocturama par Bertrand Bonello

Nocturama par Bertrand Bonello

PRISON MENTALE

Mais le monde au contraire va resserrer son emprise, dessinant autour d’eux un orbe fatal. Ils visaient un autre lieu, né de leurs espoirs (ce qu’on appelle une utopie) ; leur geste à l’inverse va les clouer sur place. Commence alors le troisième temps du film, qui voit les personnages enfermés là où devaient, selon leurs plans, s’ouvrir pour tous les portes d’une réalité nouvelle. Le centre commercial dans lequel les adolescents de Nocturama trouvent refuge est une ironique souricière : c’est le modèle réduit du monde qu’ils croyaient pouvoir détruire, une maison de poupées dont ils se découvrent les jouets. Dans L’Ultimatum des trois mercenaires, le soldat idéaliste pensait pouvoir faire surgir la vérité de son caveau atomique : le film s’achève sur le triomphe cinglant et funeste des mensonges du lobby militaire sur toute forme de probité politique. Ailleurs, le pouvoir n’a même pas besoin de riposter : dans la nasse où ils se retrouvent piégés, les activistes finissent asphyxiés par les apories de leur lutte – le feu s’éteint de lui-même une fois confinés les étudiants enragés du Sex Jack de Kōji Wakamatsu (1970). « C’est nous qui sommes en prison avec lui depuis deux mois », réalise finalement la jeune femme de Buongiorno, notte, dans l’appartement où elle séquestre Aldo Moro et où sa culpabilité l’étrangle plus fort que la justice de classe. Sa prison, où le détenu est devenu son geôlier, est une prison mentale. Le personnage de Jesse Einsenberg, dans l’admirable Night Moves, y finira irrémédiablement enfermé alors même qu’il est, lui, libre de ses gestes : prisonnier d’un œil qui est, sous la forme d’un bête miroir de surveillance dans un grand magasin, l’œil de la société entière, ou peut-être seulement le sien.

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