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Qui est Violette Leduc? Devos et Kiberlain répondent

  • Étienne Rouillon
  • 2013-11-05

Lorsqu’elle la prend sous son aile, Simone de Beauvoir (Sandrine Kiberlain) trouve chez Violette Leduc (Emmanuelle Devos) une plume rude tenue par un être fragile, voix de toutes les femmes, même si elle pense être la moins méritante. Mais Simone ne se presse pas de répondre à la question qui tend le film Violette de Martin Provost – «qui est Violette Leduc?» – parce qu’une fois cela fait Violette pourrait cesser d’écrire. Éléments de réponse avec les deux actrices.

Qui est votre Violette Leduc ? Comment l’avez-vous rencontrée ?
Emmanuelle Devos : Par ses textes littéraires. Mais c’est surtout par sa correspondance que j’ai découvert Violette. Elle y est plus directe, son style est plus parlé. On trouve aussi dans les fonds de l’Ina des vidéos d’elle, mais elle est beaucoup plus âgée qu’à la période présentée dans le film. Au départ, avec le réalisateur Martin Provost, nous avons parlé de son écriture, puis nous avons oublié la Violette des textes. Il me disait : « Écoute, on fait notre Violette. De toute façon, Violette, personne ne la connaît. » Je n’étais pas dans la même problématique que Sandrine qui elle avait l’image de Simone de Beauvoir qui pesait sur ses épaules.
Sandrine Kiberlain : C’est toi qui, alors qu’on travaillait ensemble sur un film, m’as dit : « C’est toi, notre Simone. » Martin était convaincu. Moi j’étais tétanisée à l’idée de devenir Simone de Beauvoir. Ce qui m’a aidée à dépasser le poids de cette figure, c’est que cette relation entre Simone et Violette, on ne la connaît pas. On a plus en tête sa relation avec Sartre, le mythe de Simone. Ici on est loin de cela, c’est l’histoire d’une femme qui flashe complétement sur une auteure et qui veut absolument la défendre, alors que beaucoup ne sont pas de son avis. D’ailleurs, pendant le tournage, il y a une phrase sur laquelle j’ai buté. Quand elle dit : « Allons voir Sartre. » Ça me paraissait sonner faux, parce que là on recollait avec cette représentation plus habituelle du personnage historique de Simone.
E. D. : Il y avait donc ces enregistrements vidéo de Violette. J’ai écouté sa voix, pour essayer de la reproduire. Elle a une voix assez nasale. Elle a la voix… de Ségolène Royale. Du coup, c’était très étrange, et l’on s’est dit avec Martin qu’il ne fallait pas chercher à imiter cette voix. On s’en fout. La manière dont ils parlent à l’époque est impensable pour nos oreilles, trop éloignée. Il ne faut pas chercher à la reproduire. J’ai revu Hôtel du Nord. Vous imaginez ? On ne peut plus parler comme ça, même pour recréer une époque. En revanche, j’ai cherché quelque chose chez Arletty pour Violette, un truc qu’elle a dans les épaules, un mouvement. Violette n’est pas une parigote, elle a été élevée à Valenciennes, dans une pension. Elle parle bien, pas comme un titi parisien, mais il fallait mettre cette gouaille ailleurs, dans le mouvement. Ce sont les dialogues qui ont une grande importance. Ils sont très bien écrits, ils ne font pas « époque », et en même temps sont légèrement en décalage par rapport à un parler moderne.
S. K. : Il y avait aussi tes quatre heures de maquillage par jour. C’était dingue, il fallait te voir avec ta prothèse nasale. Cet appendice qui te faisait saigner, qui t’écorchait. C’était courageux.
E. D. : C’est une aide, au final. Le nez du clown que l’on met pour rentrer dans le personnage. Cela nous aide à nous quitter nous-même. L’enlaidissement permet d’appréhender les choses différemment.
S. K. : On dit souvent que ces choses sont un détail, mais je pense au contraire que cela permet de modifier radicalement notre perception de la manière dont on nous regarde, dont on nous filme.

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Simone de Beauvoir a une bonté calculée vis-à-vis de Violette ; calculée, parce que commandée par l’intérêt impérieux de la littérature. De son coté, Violette est franchement ingrate. Comment rendre crédible leur amitié sur un terrain aussi miné ?
E. D. :
Simone a très vite compris à qui elle avait à faire. Elle le dit dans le film : « On ne peut pas être amie avec Violette Leduc. »
S. K. : Simone était libre dans sa pensée, mais elle se posait des barrières dans sa manière de l’exprimer. Violette ne voulait aucune barrière. C’est cette liberté que Simone admirait.
E. D. : Oui, elle admirait le fait que Violette ose écrire ces choses. Mais je pense qu’au fond, ce n’était pas parce que Simone ne s’autorisait pas à les écrire elle-même. Ce n’était pas son style, elle n’avait pas eu l’éducation qui mène à ça.
S. K. : Pendant le tournage, tu me disais : « C’est dingue que Violette ne lui dise jamais merci. »
E. D. : Et à la fin du film, quand elle a du succès avec La Batârde, même pas un mot. Elle n’a jamais remboursé Simone de l’argent qu’elle lui avait prêté. Elles ne se sont plus vues. C’est très altruiste de la part de Simone. Le but n’était pas d’avoir une copine, mais de lui rendre justice, un talent comme ça ne pouvant être ignoré. Même si en face Violette se fâche, écrase tout sur son chemin. Violette n’est pas égoïste mais égocentrique…
S. K. : … Parce qu’elle a aussi l’impression, et à juste titre par moments, de porter tous les malheurs du monde. Au lieu de le garder pour elle, elle extériorise.
E. D. : C’est le miel dont elle fait ses livres, elle a compris sur le tard que la solitude qu’elle estimait subir était une illusion. Elle a été entourée en permanence. Une bande de copains avec qui elle se fâche. Quand elle achète sa maison à Faucon, elle apprivoise cette solitude, car c’est avec elle qu’elle peut véritablement écrire. Autrement elle se noie dans les autres ; par exemple dans des amours non partagées. L’amour qu’elle a pour Simone est comme un phare dans la nuit, elle se dit : « Tant que j’ai ce phare, j’arriverai à écrire. » Si Simone lui avait dit une seule fois : « Eh bien, reste dormir ce soir », cela n’aurait peut-être débouché sur aucun écrit.
S. K. : Je suis convaincue que Violette se vivait romanesque – ce personnage de la brimée. Mais son insolence a du chien. Martin a réussi à créer une empathie pour elle, alors que ce n’était pas gagné dans le scénario. On avait peur de la rendre antipathique.
E. D. : Lorsque je la jouais, je me revoyais enfant, à 6 ans. Elle pleurniche, elle est assommante. Ces scènes d’égocentrisme, notamment avec sa mère, ce sont des exemples de psychologie enfantine, sans limite. C’est ça qui est touchant chez elle. Et il fallait trouver quelque chose de touchant. Parce que Violette… son écriture est stupéfiante, mais… elle est très très chiante.

Violette de Martin Provost (2h19)
avec Emmanuelle Devos, Sandrine Kiberlain…
sortie le 6 novembre

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