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Marina Foïs, déglingue magnifique

  • Quentin Grosset
  • 2015-02-03

Marina Foïs, c’est d’abord un phrasé. Une voix traînante, des intonations flegmatiques qui lui permettent de prononcer les pires grivoiseries sans être vulgaire. Au début de sa carrière cinématographique, elle avait tendance à surjouer cette manière nonchalante d’étirer les mots, comme une pose, un relent du fameux « Maaaaaais, arrêtez de regarder mes feeeeeessses » de Sophie Pétoncule, personnage de gentille nunuche qu’elle a interprété à l’époque de la troupe des Robins des Bois et qui semblait encore la posséder. Aujourd’hui, son jeu a gagné en nuances, en densité. Quand on y réfléchit, il y a finalement peu d’actrices qui se distinguent ainsi par une élocution aussi reconnaissable, presque une signature : dans le cinéma français il y a bien eu Arletty, Delphine Seyrig, Fanny Ardant ou Jeanne Moreau, mais après ? Ce débit languide, doucement fantasque, la rapproche d’actrices comme Jeanne Balibar (sans le côté maniéré) ou Noémie Lvovsky (en moins lunaire). Quand elle arrive dans le bar de l’hôtel où l’on a rendez-vous, elle a l’air un peu crevé, c’était son anniversaire le soir précédent. Elle enlève ses lunettes noires, on lui tend la main mais elle refuse poliment de la serrer. Elle est malade et ne veut pas nous refiler ses microbes. L’interview sera dès lors ponctuée de pauses mouchoir. Sa façon de s’exprimer est un peu différente de ce que l’on attendait, parce qu’elle est plus vive et qu’elle parle du nez. Marina Foïs nous est précieuse, même si son potentiel est encore loin d’avoir été justement exploité. Bien sûr, elle ne joue pas que dans des chefs-d’œuvre (pensons au Raid en 2002, à Boule et Bill en 2013), mais elle parvient toujours à rendre ses personnages un peu bizarres, donc intéressants. Son parcours au théâtre est moins connu. Pourtant, c’est là qu’elle a commencé. « Je crois que mon premier rôle, quand j’étais enfant, c’était dans une pièce de théâtre amateur, un conte africain. Je jouais un bananier. J’avais invité mon baby-sitter, Jean-Marc Brisset, qui était au conservatoire de Paris et qui m’a donné envie de devenir comédienne. » C’est ce même ex-baby-sitter qui lui donne sa chance, alors que Marina n’a que 16 ans, dans une mise en scène de L’École des femmes de Molière en lui confiant le rôle d’Agnès. Marina prend des cours de théâtre tout en préparant son bac par correspondance, avant de rejoindre le conservatoire de Versailles. La suite, on la connaît. Elle intègre la troupe The Royal Imperial Green Rabbit Company (les futurs Robins des Bois) qui fera les beaux jours de La Grosse Émission sur la chaîne Comédie !, puis de Nulle Part Ailleurs sur Canal+.

ASSUMER

Dans Papa ou Maman de Martin Bourboulon, elle incarne Florence, une femme en plein divorce. Celle-ci veut partir à l’étranger pour saisir une belle opportunité professionnelle qui se présente. Le problème, c’est que son mari, Vincent (Laurent Lafitte), veut lui aussi quitter le pays pour les mêmes raisons. Florence et Vincent vont donc tout faire pour ne pas avoir la garde de leurs enfants, jusqu’à devenir des parents vraiment indignes, voire cruels. Dans une scène, Florence n’hésite pas à arriver totalement ivre à une fête à laquelle est invitée sa fille, et à draguer ses amis, dans le seul but de lui faire honte. « Pour moi, c’est ça avoir de la morale : s’amuser avec ce que l’on n’a pas le droit de faire. Les personnes vraiment mauvaises sont celles qui n’assument pas leurs mauvaises pensées. Une fois qu’on se dit : “J’ai envie de tuer mes gosses parce qu’ils m’empêchent d’aller chez l’esthéticienne”, on prend sur soi et on ne fait rien de mal. Les gens qui disent : “Oups !”, je ne crois pas à leur morale », affirme Marina Foïs.

TRANSGRESSER

L’actrice a souvent joué des personnages qui avaient un rapport conflictuel à la maternité (dans Polisse de Maïwenn en 2011, dans Le Plaisir de chanter d’Ilan Duran Cohen en 2007). Cette fois, la mère qu’elle incarne a quelque chose de volontaire, de déterminé, elle ne compte pas laisser ses enfants écraser ses ambitions. Derrière la farce, le film tient un certain discours sur les couples d’aujourd’hui. « Ce couple explose parce qu’il a voulu être trop parfait, trop lisse, toujours au bon endroit. Ils n’ont pas accepté assez tôt qu’ils se faisaient chier, qu’aller au Monoprix ce n’est pas intéressant, qu’emmener les enfants aux activités périscolaires c’est chiant. Il faut être inventif et souple pour faire durer le plaisir : c’est pour cela que je suis pour la transgression régulière et pour la grossièreté de temps en temps. Ça permet de rester responsable, concret, humain. » Pour ses premiers rôles, les réalisateurs avaient tendance à imaginer Marina Foïs en trentenaire abattue, paumée sentimentalement : Filles perdues, cheveux gras (2002) de Claude Duty ou J’me sens pas belle (2004) de Bernard Jeanjean, des titres qui en disent long. Aujourd’hui, c’est plutôt Tiens-toi droite (2014) de Katia Lewkowicz, film qui explore les injonctions faites aux femmes et ne cache pas ses ambitions féministes. « Contrairement à certains qui font des films sur des femmes pour les femmes par des femmes et qui font tout pour éclipser le mot “féminisme”, je considère que ce n’est pas un gros mot. »
Très cinéphile, la comédienne nous confie aller au cinéma presque tous les jours. Récemment, ses coups de cœur sont pour Timbuktu, Eastern Boys et le documentaire Of Men and War. Elle se dit aussi fan inconditionnelle de Noah Baumbach ou de Sacha Baron Cohen. Mais sa référence principale, c’est Gena Rowlands, l’égérie de John Cassavetes. « Au théâtre, j’ai travaillé avec le metteur en scène Luc Bondy qui me disait toujours que, ce qui est déplorable en France, c’est que les acteurs jouent seulement du cou jusqu’au sommet de la tête. Chez Gena Rowlands, le corps est engagé. Un plan dans Opening Night de Cassavetes m’a particulièrement marqué, et il se trouve que c’est un plan du mollet de Rowlands… » L’actrice a les yeux qui brillent quand elle évoque son idole. « Elle est difficilement descriptible, elle est belle mais pas dessinée, elle trimballe une émotion, ce sont tous les contraires qui se rejoignent, c’est la déglingue magnifique. » « Déglingue » et « magnifique », ce sont deux mots qui vont bien à Marina Foïs. Quand, dans Filles perdues, cheveux gras, elle chope un garçon contre une baraque à frites en chantant : « Le monde me donne la gueule de bois, et l’alcool arrange ça », ou quand, dans Non, ma fille tu n’iras pas danser (2009) de Christophe Honoré, elle fume une cigarette dans le train alors qu’elle est enceinte, la comédienne garde malgré tout elle aussi tout un certain standing. À la fois trash et distinguée.

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