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Louis Garrel, cinéaste

  • Quentin Grosset
  • 2015-09-22

Qu’est-ce qui lie Clément, Abel et Mona, les trois héros des Deux Amis ?
Mon idée, c’était qu’ils n’aient pas vraiment de plan de carrière, qu’ils soient un peu en marge. Leur ambition, ce n’est pas de décrocher un job, mais d’être aimés. Généralement, quand on a une trentaine d’années, on est dans le devenir. Eux, ils sont dans une préoccupation sentimentale constante, ils n’ont que ça pour se raccrocher au monde, ce qui les rend un peu adolescents. C’est pour ça que je pense que les jeunes gens qui verront le film pourront s’identifier.

Les personnages changent d’état d’âme de façon très brutale. Par exemple, au moment de la rupture entre les deux amis, quand Clément décide de « quitter » Abel.
Avec Christophe Honoré , on s’est dit que, puisque c’est un film sentimental, il faut qu’il y ait de l’action. Quand on touchait à un sentiment, il fallait tout de suite virer à droite, à gauche, de peur de le laisser s’étioler.

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D’ailleurs, on reconnaît bien la patte de Christophe Honoré, notamment dans les dialogues qui, dits avec la plus grande dérision ou avec une certaine nonchalance, sont parfois porteurs d’une intense cruauté.
Christophe est tendre, sentimental, mais aussi très pudique. Ses personnages sont parfois donneurs de leçons, mais, quand ils font cela, c’est toujours avec légèreté. À l’écriture, on essayait de faire une comédie sur les sentiments ; mais pendant le tournage je me suis dit que j’allais prendre tous les sentiments avec le plus grand sérieux. C’est peut-être ce mélange qui donne l’impression que les dialogues sont durs mais pas si désagréables à entendre.

À un moment, les trois héros se retrouvent sur le tournage d’une séquence qui se passe pendant les émeutes de Mai 68. Est-ce un clin d’œil à ta propre filmographie ? On pense aux Amants réguliers de Philippe Garrel, à Innocents. The Dreamers de Bernardo Bertolucci…
Au départ, c’était un gag : le personnage de Vincent vient figurer dans un film qui cherche à recréer un grand mouvement collectif. Mais lui fait la chose la plus individualiste au monde : une tentative de suicide. Après, c’est vrai que j’ai joué dans deux films qui parlent de ce mouvement insurrectionnel, un pur moment de génération. Philippe  essayait de faire des images à partir de ses propres souvenirs ; Bertolucci, lui, était plus dans le fantasme, car il n’était pas à Paris à cette période. Donc cette séquence fonctionne un peu comme les poupées russes : je refais ce que j’ai connu sur des tournages qui eux-mêmes apparaissent comme différentes manières de se rappeler un moment. Comme un souvenir de souvenirs…

D’où est venue l’idée du secret de Mona qui, détenue sous le coup d’une mesure de semi-­liberté, doit chaque soir regagner sa cellule ?
L’intrigue s’inspire des Caprices de Marianne d’Alfred de Musset. Un homme demande de l’aide à un autre pour conquérir le cœur d’une femme, mais celle-ci tombe amoureuse du second. Dans la pièce, elle est mariée à un homme. Comme il fallait qu’on arrache le personnage de Mona à quelque chose, on a choisi de la mettre en situation de semi-liberté plutôt que dans les bras d’un époux.

Dans Les Deux Amis et dans certains de tes courts métrages, tu filmes l’amitié de manière ultra romantique, et tu la représentes avec une grande sensualité.
Sur le tournage des Deux Amis, un machiniste m’a dit que le film est une bromance. Ça me va très bien : je préfère raconter la fraternité entre deux hommes plutôt que le côté « potes ». Je ne veux pas de potes, moi, je veux des amis. Dans La Règle de trois, les deux personnages joués par Vincent Macaigne et moi entretenaient plus un rapport de camaraderie. Là, quand on voit Abel et Clément marcher côte à côte, on sent qu’ils ont le même horizon. La différence, c’est la manière de remettre sa vie à l’autre, de placer son cœur entre ses mains. Je pense à un proverbe africain très beau qui dit : « Un ami, on sait où il dort. » Mes amis, je sais où ils dorment ; pas mes copains.

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Le point d’orgue de ta vision de l’amitié, c’est une séquence de ton court métrage Petit tailleur : le rapport entre les deux amis y est si fort que ceux-ci vont jusqu’à s’embrasser. Que représente ce baiser ?
Il y avait un truc un peu transgressif à voir deux amis s’embrasser. Et j’ai toujours pensé qu’une présence amie, c’était un peu comme un filet pour les trapézistes au cirque : elle est là pour te secourir dans les plus grandes peines. Là, c’est un baiser à la russe, une manière de lui donner du courage.

Du coup, l’amitié devient peu à peu le thème phare de ta filmographie en tant que cinéaste…
C’est vrai que ça me touche, oui… Par exemple, dans Les Quatre Cents Coups de François Truffaut, je suis toujours ému par le rapport entre Antoine Doinel et son ami René. Quand celui-ci vient lui rendre visite en maison de redressement, ils sont séparés par une vitre, et René ne peut pas rentrer pour le voir. Ils se regardent, et c’est le truc le plus beau du monde. Il sait que ce que vit Doinel est très dur, et pourtant son regard n’a pas de souffrance, il dédramatise. Il n’y a que les grands amis qui peuvent faire ça. Même quand j’en parle, là, ça me fait chialer…

Toujours dans Petit tailleur, le narrateur, en voix off, insiste sur le fait que les deux amis « se connaissent depuis trop longtemps. » Qu’est-ce que ça implique ?
Quand quelqu’un te connaît trop bien, ça peut être une grande joie, mais son regard peut aussi parfois être agressif. Il connaît tout ton parcours ; du coup, quand tu veux changer, te redéfinir, il peut te regarder d’un œil un peu sarcastique, alors que toi tu voudrais faire un pas de côté, changer de direction.

Dans ton court métrage Mes copains, le groupe d’amis apparaît comme une soupape par rapport à la sphère familiale, sujette à des divorces, des affrontements.
Quand j’avais 20 ans, une des choses qui m’effrayaient le plus, c’étaient les séparations. Je ne comprenais pas que les gens se séparent. Mes copains a un petit côté sitcom à la Hélène et les Garçons dans sa représentation du groupe. On se demande qui a couché avec qui, mais, en même temps, pour eux, tout est un jeu. Je voulais raconter qu’à l’extérieur de ce cocon, tout n’était que séparation, règlements de compte adultes. Tandis qu’à l’intérieur du groupe, quand il y a trahison, tout est organisé pour que celle-ci soit résolue de manière tendre.

Au début de Mes copains, Arthur révèle que l’un de ses meilleurs amis, Damien, a dormi avec sa propre fiancée. Plutôt que de penser à la trahison dont il est victime, il se soucie d’abord de son copain et veut tout faire pour qu’il ne soit pas gêné par la situation. C’est plutôt altruiste de sa part, non ?
J’avais lu un livre de Cicéron, L’Amitié, dans lequel il y avait l’idée qu’il faut être vertueux avec l’autre. C’est l’intention un peu folle d’être le plus civilisé possible. Dans Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) d’Arnaud Desplechin, le personnage de Paul Dédalus tombe amoureux de la fiancée de son ami Nathan. Et, dans Mes copains, il y a ce même rêve que les problèmes se règlent entre aristocrates, entre personnes bien élevées, qu’il y a une sorte de noblesse dans le dépassement d’une trahison. Je m’étais dit que j’allais parler de possessivité amoureuse, mais que mes personnages réagiraient en Romains. Il y a une fille au milieu de trois garçons, et un idéal : le grand partage, le kibboutz. C’est comme un manifeste : ce groupe-là essaye de rester uni et il le restera. J’ai été traumatisé par des récits comme La Conspiration de Paul Nizan, qui nous assènent que le devenir du groupe, c’est l’éclatement, le retour à l’individu.

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Comment étais tu arrivé à la réalisation de ce premier court métrage ? Qu’est-ce qui t’en avais donné envie à l’époque ?
Avec mon ami Rachid Hami, qui avait réalisé en 2008 Choisir d’aimer, un moyen métrage dans lequel j’avais joué, et qui a grandi dans un autre milieu que le mien, on voulait faire une sorte de diptyque sur l’amitié. Chacun aurait eu son segment, et aurait raconté ses amitiés respectives. Ça se serait appelé Les Idées suisses, c’est un jeu de mot un peu nul avec « les suicidés »… Mais, finalement, Rachid a abandonné, et Mes copains est resté tout seul. Ce film, c’est un peu un photomaton, je voulais photographier les gens avec qui j’ai fait du théâtre. D’ailleurs, il y a un des acteurs du film que je ne vois plus du tout. Quand je veux avoir des nouvelles, je regarde ce film.

Dans ton adolescence, est-ce que tu réalisais des films, des courts métrages étudiants avec tes copains ?
Quand j’étais au Conservatoire, je devais avoir 18 ans, j’avais réalisé une captation d’une mise en scène d’un texte de Jon Fosse par un élève qui avait monté ça dans les toilettes de l’établissement. Je n’ai jamais réussi à en faire quelque chose, mais j’ai encore les cassettes. Sinon, quand j’étais petit, en colonie de vacances, on avait fait un film avec les monos qui s’appelait Le Père Noël est encore une ordure. Ça parlait d’un Père Noël vraiment méchant qui tuait les élèves de la colo. Je ne me rappelle plus quel personnage je jouais, juste que j’avais un tout petit rôle et que j’étais hyper vexé.

Dans tes films en tant que réalisateur, beaucoup de personnages sont pressés, ils vivent vite.
Oui, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de temps mort dans Les Deux Amis. C’est un plaisir narratif, les accélérations. Je crois que c’est Claude Sautet qui racontait que, lorsqu’il écoutait de la musique et que celle-ci s’accélérait, il entendait de la pluie. Dans ses films, quand les personnages se mettent à courir pour se protéger de la pluie, ça correspond à leur cœur qui bat un peu plus vite tout à coup. C’est probablement parce que je fais de la tachycardie que mes personnages sont comme ça.

Justement, que penses-tu des films de Claude Sautet ?
J’aime beaucoup Un cœur en hiver, dans lequel joue d’ailleurs mon grand-père , pour plein de raisons. La première, c’est que je regardais toujours ce film quand j’étais en province. Il y avait le plaisir de regarder Paris de l’extérieur. Je ne reconnaissais pas les rues dans lesquelles ils avaient tourné, et ça me donnait envie de revoir la ville. Après, je suis assez séduit par le canevas narratif du film : deux amis qui se séparent à cause d’une femme. C’est aussi l’argument sur lequel repose mon film. D’ailleurs, les gens relient toujours ce schéma à la Nouvelle Vague parce qu’ils pensent à Jules et Jim, mais au fond c’est un thème classique.

Sur les tournages des films dans lesquels tu as joués, tu as forcément observé les metteurs en scène. As-tu piqué certains « trucs » à des réalisateurs ?
Je ne sais pas trop, parce que je viens vraiment du théâtre. Au théâtre, quand on répète et qu’il n’y a pas encore de metteur en scène, on fait appel à un « troisième œil ». On demande à quelqu’un d’extérieur de venir regarder la scène et de donner son avis. Sur le tournage, je voulais être un peu le troisième œil de tout le monde. Après, la difficulté, c’était de l’être aussi pour moi-même, donc, quand j’étais dans le plan, je déléguais parfois cette tâche à l’opératrice. Mais c’est vrai que, depuis tout petit, je regarde mon père travailler. Lui, il regarde les choses et essaye de les peindre ; tandis que moi, je pars vraiment du mouvement des acteurs.

À l’avenir, te verrais-tu réaliser autre chose que des films sentimentaux ?
Je pense que le cinéma français doit composer avec un répertoire qui englobe Marivaux, Musset et Racine et qui ne propose que des études du sentiment et de ses mouvements. Pourquoi les Américains arrivent-il à faire Le Parrain ? Parce qu’ils ont Shakespeare. C’est dans les racines du récit, des acteurs, de leur apprentissage. Quand un rapport intime se crée avec un film, dans mon cas, c’est beaucoup lié aux sentiments.

Les Deux Amis
de Louis Garrel (1h40)
avec Vincent Macaigne, Golshifteh Farahani…
sortie le 23 septembre

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