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Corneliu Porumboiu, chasse au trésor

  • Juliette Reitzer
  • 2016-02-10

Costi, le héros, lit Robin des Bois à son fils. Est-ce une manière pour vous d’annoncer la suite de l’histoire ?
Costi vit, comme beaucoup d’entre nous, dans un équilibre assez instable. Il a de quoi payer le nécessaire, mais il fait beaucoup de compromis. Il ne s’entend pas très bien avec ses collègues de travail, il lit à son fils des histoires de héros, mais lui-même n’est pas très fier de lui. Il n’est pas héroïque, mais à la fin il le devient, justement parce qu’il est d’une certaine manière influencé par la lecture de ce conte. J’ai choisi Robin des Bois aussi parce que c’est un récit lié au thème de la propriété, et que le film parle de ça. Enfin, Robin des Bois est un clin d’œil à la succession d’aventures que Costi va vivre : quand son voisin vient lui exposer son affaire et lui demander de l’aide, va-t-il se montrer solidaire ?

Comment vous est venue l’idée de cette chasse au trésor ?
Un ami m’a rapporté la même histoire que celle racontée par Adrian dans le film : d’après une légende familiale, ses grands-parents auraient enfoui un trésor dans leur jardin avant l’arrivée des communistes. J’ai eu envie d’en faire un documentaire. J’y suis donc allé avec une équipe de tournage et avec une compagnie spécialisée en détecteurs de métaux. On a cherché le trésor, et pour finir on n’a rien trouvé. Au début, on a tous bien rigolé de notre maladresse avec le détecteur, mais ensuite c’est devenu étrange, j’ai eu l’impression qu’on était tous perdus dans ce jardin, comme si on était tombés dans une espèce de trou noir temporel. J’ai donc décidé de travailler un scénario à partir de là.

Au-delà de l’aspect merveilleux de la chasse au trésor, le film fait la part belle à l’enfance à travers le personnage d’Alin, le fils de Costi, âgé de 6 ans. Dès la scène d’ouverture, il est constamment au centre des préoccupations de ses parents…
Oui, j’avais écrit et tourné encore plus de scènes avec Alin, mais au montage j’arrivais à près de quarante minutes juste pour la première partie du film, donc j’ai décidé d’en supprimer beaucoup. En Roumanie, on a l’impression que chaque génération doit se sacrifier pour la suivante. C’est un pays où on se projette beaucoup dans ses enfants, trop sans doute. Quand je faisais passer des auditions pour le film, je voyais des enfants qui arrivaient épuisés ; ils prennent toutes sortes de cours, en plus de l’école.

La première partie du film suit Costi dans son quotidien, chez lui, au travail, alors qu’il prépare l’expédition… La mise en scène est très précise, presque clinique. Comment l’avez-vous abordée ?
Je l’ai construite avec l’idée de recréer une atmosphère carcérale. Je ne voulais pas de lumière naturelle, donc on l’a poussée au maximum, pour qu’on sente que c’est un éclairage artificiel qui écrase les visages. Les personnages sont filmés devant des fonds unis, très simples, sans aucune profondeur de champ.

La deuxième partie du film est centrée sur la recherche du trésor, à la campagne. Après avoir passé tout le jardin au détecteur de métaux, Adrian et Costi commencent à creuser. Cette partie est plus solaire, plus aérienne.
Le jardin de la maison familiale agit un peu comme un miroir pour Adrian, qui y cherche un trésor, mais aussi sa propre histoire familiale. Je voulais que le jardin devienne un personnage, qu’on prenne le temps de le regarder, d’où le choix de plans longs et larges. Au contraire de la première partie, je voulais une lumière naturelle, inspirée du western. J’avais aussi lu un article, dans les Cahiers du cinéma, à propos de L’Inconnu du lac et de comment Alain Guiraudie avait construit sa mise en scène en fonction de la lumière naturelle.

Cette recherche du trésor est aussi, pour vous et pour vos personnages, un moyen d’exhumer l’histoire de la Roumanie de l’après-Seconde Guerre mondiale.
Oui, je crois que mon pays n’a pas bien compris ni digéré son passé. C’est une société qui est en permanence dans le présent, dans une espèce de boulimie – c’est un thème que j’abordais déjà dans Métabolisme ou Quand le soir tombe sur Bucarest.Dans un western, les gens vont défricher des territoires inconnus. J’ai voulu faire un western local : mes personnages reconquièrent leur propre terre, leur propre histoire.

Ces images d’hommes qui creusent la terre avec une pelle, en pleine nuit, évoquent aussi quelque chose de plus sordide : ils pourraient tout aussi bien être en train de creuser une tombe.
Je voulais que le film soit aussi porteur d’un certain désespoir : Adrian se jette dans cette chasse au trésor parce qu’il est acculé, il a besoin d’argent, ce n’est pas un jeu pour lui. Il y a donc quelque chose de très solennel dans leur démarche : c’est presque une question de vie ou de mort.

Vous citez souvent Les Nuits de la pleine lune d’Éric Rohmer comme une de vos influences majeures.
Oui, la lumière et les décors assez théâtraux, le travail sur les costumes… C’est un film que j’aime beaucoup. C’est un peu devenu une blague avec mon équipe : je leur demande de le revoir à chaque fois que je prépare un nouveau film.

Ce qui caractérise vos personnages, c’est qu’ils ne sont pas animés de mauvaises intentions, ils sont foncièrement bons, honnêtes.
Oui, il n’y a pas vraiment de méchants dans mes films, les difficultés viennent plutôt de soi-même ou d’un système, d’une organisation. Comme dans 12 h 08 à l’est de Bucarest, dans lequel chacun se débattait avec son propre orgueil.

Le film profite d’un comique qui repose beaucoup sur l’absurdité de situations quotidiennes et sur la dilatation du temps. Comment le définiriez-vous ?
Tous mes personnages ont ce côté Buster Keaton que j’aime beaucoup : ils sont très sérieux, ça crée un décalage qui est comique. Je travaille toujours aussi sur l’incompréhension, mes personnages ne parviennent pas à communiquer : le langage est un de mes thèmes favoris. Chacun est dans sa solitude. C’est un peu une thérapie pour moi, car je suis comme ça… Je crois que je fais du cinéma parce que c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour réussir à m’exprimer.

de Corneliu Porumboiu (1h29)
avec Toma Cuzin, Adrian Purcrescu…
sortie le 10 février

 

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