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LA REDAC A CANNES : JOUR 9

  • Trois Couleurs
  • 2016-05-19

Police partout en tous cas dans les rues de Cannes, où on murmure même que des snipers seraient planqués sur les toits pour faire face au risque d’attentat – en ce qui nous concerne, on a surtout vu les forces de l’ordre déloger les SDF installés sur la Croisette.

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Police partout dans les films aussi où, bras armé des gouvernements, les flics incarnent à eux seuls tous les maux d’un pays. Racistes et violents dans l’américain  Loving de Jeff Nichols ; bornés mais souriants dans le britannique I, Daniel Blake de Ken Loach ; dépassés dans le belge  La Fille inconnue  des frères Dardenne ; pas bien vifs (voire carrément débiles) dans les français Rester vertical d’Alain Guiraudie, Personal Shopper d’Olivier Assayas et Ma loute de Bruno Dumont…

Vu hier en Compétition officielle,  Ma’Rosa du Philippin Brillante Mendoza confirme la règle avec ses policiers paresseux, violents, homophobes et corrompus jusqu’à l’os. Installée dans les bidonvilles de Manille, l’échoppe de Rosa, matrone autoritaire, lui sert surtout à écouler de la meth.

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Quand elle et son mari sont arrêtés, leurs trois enfants ont quelques heures pour réunir la somme exigée par les flics pour étouffer l’affaire. Si la mise en scène de cette histoire en quasi temps réel (image crade, caméra à l’épaule épileptique et sans véritable point de vue) est vite éprouvante pour le spectateur (surtout après 8 jours de festival), il faut admettre qu’elle le plonge efficacement dans la merde des bas-fonds manillais, cadrant pêle-mêle gamins sniffant de la colle, bagarres de rue, prostitution quasi infantile, ruelles pleines d’immondices et étals de bouffe graisseux. Soit le portrait dense et sombre d’une ville où il ne fait visiblement pas bon vivre.

 

Autre pays, même galère. Dans le très beau Baccalauréat, Cristian Mungiu documente méticuleusement la corruption généralisée en Roumanie. Après 4 mois, 3 semaines, 2 jours (Palme d’Or en 2007) et Au-delà des collines (Prix du scénario en 2012), le cinéaste choisit une nouvelle fois la figure de la jeune fille comme réceptacle des maux de la société roumaine. Eliza, adolescente douce et discrète sur le point de passer son bac, est victime d’une agression qui met en péril ses chances de réussir l’examen, et fait vaciller l’espoir de toute sa famille de la voir partir étudier en Grande Bretagne. « S’il existait un moyen de changer quoi que ce soit ici, je t’encouragerais à rester » explique son père, Romeo, médecin honnête dès lors prêt à tout pour maintenir le départ de sa fille, y compris à balayer les principes moraux qu’il lui a inculqués…

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En mettant le doigt dans l’engrenage de la corruption, c’est tout le quotidien de ce médecin, déjà bâti sur des fondations branlantes (sa maitresse tombe enceinte, son épouse s’enfonce dans la dépression, sa mère est malade), qui s’effondre progressivement. Avec beaucoup d’empathie pour cet impuissant héros pris dans un dilemme moral insoluble, Mungiu filme la débâcle en plan séquence et à distance raisonnable, épinglant au passage dysfonctionnements et aberrations de la société roumaine -sclérose administrative, instances publiques démissionnaires, inégalités sociales… Le tableau est lucide et désenchanté, mais le film s’affranchit du naturalisme plombant en multipliant les rebondissements et en injectant un certain mystère, comme lorsque la violence survient, inexpliquée (une pierre brise une fenêtre de l’appartement familial, un chien se jette sous les roues de la voiture…). Soit les ingrédients d’un bouleversant et captivant thriller social et moral.

L’ambiance est toujours aux règlements de compte chez Xavier Dolan. Avec son nouveau film présenté en Compétition Officielle, Juste la fin du monde, adaptation de la pièce homonyme de Jean-Luc Lagarce, le réalisateur canadien nous convie à un impressionnant huis clos familial, aux allures de Jugement Dernier. A l’approche de la mort, Louis (Gaspard Ulliel, sobre et intense) rend visite à sa famille qu’il n’a pas vue depuis 12 ans. Il n’exprime pas ses motivations : peut-être veut-il tout simplement partir en paix.

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Comme un accusé qui, lors d’un procès, écouterait les différentes parties s’écharper sur son sort, Louis écoute et regarde, il n’arrive pas à parler. A chaque fois qu’il est sur le point de s’exprimer, on lui coupe la parole. C’est comme si sa mère très excentrique (Nathalie Baye, à la fois grotesque et géniale), sa sœur revêche (Léa Seydoux), son frère au tempérament sanguin (Vincent Cassel) et sa belle-soeur effacée (Marion Cotillard) cherchaient tous à noyer le poison. Dolan matérialise le conflit à travers une mise en scène abrupte et très sensorielle. Quand débute le film, le débit de parole est infernal, le montage est haché, les acteurs sont isolés dans des gros plans, tandis que le son paraît cradingue – autant de marqueurs de l’incapacité des personnages à se parler et à s’entendre. Ici, personne ne semble accorder d’importance à la substance de ce qui est dit : il faut remplir les blancs, s’agiter le plus possible pour éviter d’aborder l’essentiel. Dolan filme le non-dit, l’incommunicabilité avec une âpreté proche de celle de son Tom à la ferme qui, déjà en 2013, se déchargeait des effets pop de son cinéma – réduits ici à quelques séquences, notamment des flash-backs très stylisés. Il faut dire que la dureté du film est troublante pour qui s’attendait à un nouveau Mommy. Mais à la rédac, on a été magnétisés par ce film sec, toxique, brillant.

 

Bonus chien de garde :

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