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Judith Chemla, la bonne résolution

  • Raphaëlle Simon
  • 2016-11-22

Au milieu de cette majestueuse chambre d’hôtel aux rideaux lourds, elle a l’air fragile, avec ses grands yeux bleu marine mélancoliques, son teint porcelaine, son air de petit oiseau. Et puis elle commence à parler de son parcours : la voix est posée, le regard soutenu, la nuque droite et fière. Une détermination qu’elle a en partage avec son personnage, Jeanne, l’héroïne de Maupassant dont s’empare Stéphane Brizé, et dont l’optimisme résiste à la cruauté de l’existence – son mari se révélera volage, pingre et insensible ; son fils l’abandonnera dans sa Normandie pour dilapider sa fortune… « Je me reconnais plus dans la Jeanne de Stéphane que dans celle de Maupassant, qui la regardait avec plus d’ironie. Stéphane voit en elle une femme qui a foi dans la vie, même si elle est condamnée à la passivité. Sa Jeanne est un peu plus obstinée. » Depuis toujours, Judith Chemla a été fascinée par les héroïnes volontaires et passionnées. « Petite, j’adorais Scarlett O’Hara, cette femme qui agit sur son destin, même si elle se trompe. Camille Claudel aussi m’a obsédée longtemps. Cette liberté, cette passion, cette folie aussi. Ce sont des femmes qui brûlent leur vie. »

TOMBÉE DANS LA MARMITE

Il y avait de quoi appréhender : pour son premier rôle principal au cinéma, Judith Chemla est de tous les plans. À la manière d’un impressionniste, Stéphane Brizé confine son héroïne dans un format carré et la filme au plus près pour traquer ses états d’âme. La comédienne se souvient du casting : « On improvisait autour d’un poème de Maupassant. Stéphane voulait voir qui j’étais, ma capacité à m’abandonner. J’aime bien les castings, parce que je ne me mets pas une pression folle : si j’ai un beau rôle, c’est merveilleux, mais je n’ai pas l’impression de devoir accéder à quelque chose, je fais déjà ce que j’aime. » Cette assurance, cette force inébranlable, la Parisienne de 31 ans la tire de quelque part : elle est tombée dans la marmite du jeu quand elle était petite. Après sept années intensives de violon, qu’elle pratique dès ses 7 ans pour se rapprocher de son père, violoniste de profession, elle découvre sa propre voie un jour de collège. « Ton prof de français te fait pousser les tables, et, là, c’est la révélation. Avec un texte, une situation, j’avais l’impression de faire bouger les lignes : le cadre explose, on peut faire ce qu’on veut, on devient créateur de sa vie. » Une fois lancée, la comédienne vole de ses propres ailes et s’essaye à tout : une formation au Conservatoire, puis au chant lyrique (on se souvient de l’incandescente soprano dans l’enchanteur Le Crocodile trompeur / Didon et Enée de Samuel Achache et Jeanne Claudel en 2013), un rapide mais remarqué passage à la Comédie-Française, après avoir goûté à la magie du cinéma grâce à Noémie Lvovsky, qui lui confie un rôle dans Faut que ça danse ! en 2007. Animée par son goût de l’expérimentation elle enchaîne des rôles très différents au cinéma : lycéenne gothique dans Camille redouble de Lvovsky (qui lui vaut une nomination au César de la meilleure actrice dans un second rôle en 2013), trentenaire sensible et tout en retenue dans Ce sentiment de l’été de Mikhaël Hers, ou héroïne romantique chez Stéphane Brizé. « Je suis contente de pas avoir de catégorie. Mon désir d’être actrice, c’était dès le départ une envie de s’inventer, d’être sans limite. » Toujours lyrique et habitée, Judith Chemla parle et respire en grande tragédienne. Elle confie s’épanouir chaque jour un peu plus grâce à son métier, qu’elle vit comme une délivrance. « Enfant, je me sentais adulte. L’insouciance, la beauté de l’enfance, je la découvre en grandissant : aimer chaque instant, avoir le monde à découvrir. » Enivrée par sa dernière performance, dans Traviata. Vous méritez un avenir meilleur, aux Bouffes-du-Nord (« Je ne sais pas ce que je peux faire après ça, il y avait tout : le chant, le jeu, une intensité folle !»), la comédienne semble très haut sur sa passion perchée. On lui souhaite de ne jamais en redescendre.

« Une vie »
de Stéphane Brizé
Diaphana (1 h 59)
Sortie le 23 novembre
PHOTO : VINCENT DESAILLY 

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