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Jean-Claude Mézières, gardien de la galaxie

  • Michaël Patin
  • 2017-07-13

Grand nom de la bande-dessinée et co-créateur, avec Pierre Christin, de l'album de science-fiction visionnaire « Valérian et Laureline », Jean-Claude Mézières est décédé ce dimanche 23 janvier, à l’âge de 83 ans. En hommage à cet artiste qui inspira largement le 7e art, notamment Georges Lucas et sa « Guerre des étoiles », on republie cet entretien réalisé en 2017, à l'occasion de la sortie de « Valérian et la Cité des mille planètes » de Luc Besson.

Depuis cinquante ans, Jean-Claude Mézières dessine Valérian, œuvre clé de la bande dessinée de science-fiction, scénarisée par Pierre Christin, dont l’imaginaire graphique n’a cessé d’inspirer les cinéastes. À commencer par Luc Besson – l’adaptation pharaonique dont le réalisateur rêvait depuis l’enfance sort cet été. Par un après-midi caniculaire, ce grand monsieur nous a reçus dans son atelier pour évoquer le film et commenter, avec son franc-parler légendaire, un parcours placé sous le signe du V.

Quels ont été vos premiers émois de lecteur de bande dessinée ?
Mon frère, qui avait sept ans de plus que moi, achetait l’hebdomadaire O.K, dans lequel le jeune Albert Uderzo faisait ses débuts. Un bouquin vient de sortir pour les 90 ans d’Uderzo, et j’ai redessiné de mémoire Arys Buck, son héros d’alors, que je recopiais dans mes cahiers d’enfant. Ensuite, je suis passé à Tintin, parce que ma marraine m’a offert Le Lotus bleu. Et puis Le Secret de l’Espadon d’Edgar P. Jacobs, la découverte de Franquin dans la revue Spirou… Ma seule influence américaine, c’est le magazine Mad, grâce auquel j’ai appris l’anglais.

Vous avez commencé le dessin en même temps que votre ami Jean Giraud, alias Mœbius…
J’ai rencontré Giraud sur les bancs de Duperré et il m’a scié les pattes pendant dix ans! Faire des études de piano avec un copain qui s’appelle Wolfgang Amadeus Mœbius, je peux vous dire que ce n’est pas facile. On s’est beaucoup cherchés, épaulés, critiqués.

Quand vous lancez Valérian avec Pierre Christin en 1967, la bande dessinée n’est pas prise au sérieux, et la science-fiction non plus.
Du coup, on s’est dit: on va faire une BD de SF! En France, il n’y avait rien. Barbarella de Jean-Claude Forest était très peu connue. Les libraires n’avaient pas le droit de présenter cette BD en vitrine, car c’était considéré comme de la pornographie! Quant aux Américains, Alex Raymond (Flash Gordon) notamment, je ne les ai jamais lus et je ne les lirai probablement jamais.

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Il y a quelque chose de cinématographique dans votre dessin, une manière de choisir l’angle comme on poserait une caméra, avec un grand souci de lisibilité. De même, je sais que les scénarios de Christin ressemblent à des scripts de films.
On est des grands fondus de cinéma depuis l’adolescence. Avec Giraud, on séchait les cours le matin pour aller dans les cinémas des boulevards. En matière de science-fiction, il y a eu deux ou trois nanars archiconnus comme Planète interdite et Le Jour où la terre s’arrêta, mais c’est à peu près tout. Et puis, bang! quand on a commencé Valérian est apparu 2001 : l’odyssée de l’espace. La vraie grande claque. Stanley Kubrick montrait que le cinéma pouvait prendre la science- fiction au sérieux. Il y avait ceux qui n’y comprenaient rien, dont je faisais peut-être partie aussi… (Rires.) Mais quelle invention!  Ça a été une étape décisive, à laquelle j’ai rendu hommage à la fin de La Cité des eaux mouvantes (1970).

Valérian a eu ensuite une grande influence sur le cinéma de science-fiction, de Star WarsAvatar.
En ce qui concerne Star Wars, j’ai tenté de joindre George Lucas et je n’ai jamais reçu de réponse de sa part… Mais la lettre n’est pas revenue non plus! C’est peut-être une incompétence de la poste américaine, mais j’en doute. Il ne veut pas en parler; tant pis. Rencontre ou emprunt, ce n’est pas à moi de le dire, même si je trouve qu’il y a des putains de ressemblances… Idem pour Le Jour d’après de Roland Emmerich, avec la statue de la Liberté et les rues de New York sous les eaux : Emmerich était en Allemagne quand La Cité des eaux mouvantes paraissait dans le magazine Zack, et j’ai du mal à croire que ce soit un hasard. Mais bon, quelque part, on tape tous dans les mêmes pots. L’idée de la Patrouille du temps (nom d’un recueil de nouvelles de Poul Anderson, dont Christin s’est en partie inspiré pour Valérian), par exemple, n’est pas de nous. J’ai fini par lire le bouquin d’Anderson récemment, qu’est-ce que c’est chiant !

Dès le départ, dans Valérian, vous abordez des thèmes politiques – écologie, féminisme, antiracisme. Vous avez même tourné un film antiségrégation, Ghetto, pendant votre séjour aux États-Unis en 1965-1966.
Vous êtes bien renseigné. Quand je squattais le divan de Christin à Salt Lake City, j’avais une petite caméra 16mm qu’on m’avait prêtée. On a rencontré des gens de la N.A.A.C.P. (National Association for the Advancement of Colored People) qui avaient des contacts avec la télé locale et nous ont proposé de faire un documentaire. La ville, comme beaucoup d’autres aux États-Unis, était coupée en deux par une voie ferrée. Les propriétaires blancs ne voulaient pas que les Noirs s’installent, parce que ça faisait baisser le coût de l’immobilier. On a donc réalisé ce petit docu, largement remanié par les équipes de la station. Mais je ne l’ai pas vu, j’étais déjà reparti.

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Vos premières expériences avec le cinéma ont été douloureuses. Un Dieu rebelle de Peter Fleischmann (1991), dont vous avez dessiné les premiers décors et costumes, a été un échec cuisant, puis Le Cinquième Élément de Luc Besson (1997), sur lequel vous avez travaillé avec le chef décorateur Dan Weil,  a été repoussé pendant des années. Est-ce qu’adapter Valérian est une manière pour Besson de se faire pardonner ?
Totalement. Il a des attentions de groupie à notre égard. Il nous a invités à voir le film il y a quinze jours en disant : « Je vous fais une projection privée. » Elle était tellement privée que nous n’étions que deux dans la salle… Deux pépés aux cheveux blancs !

Il y a eu une standing ovation à la fin ?
Oh oui, on a dû essayer de se lever ! (Rires.) Le film est magnifique – vous avez vu suffisamment d’extraits pour savoir que ça a de la gueule – et il suit de près la trame de L’Ambassadeur des ombres (1975). C’est très fidèle à l’esprit Valérian.

Ça fait dix ans que Besson essaye de monter ce film, mais il me semble que vous avez été très peu impliqués dans la production.
C’est vrai, mais c’est normal. Moi, j’ai fait un bouquin ; lui a décidé de l’adapter. Je n’allais pas essayer de refaire la même chose en mieux. Il a donc demandé à deux dessinateurs de cinéma de s’inspirer de mes planches. Certains éléments sont très proches, d’autres, très éloignés. Les possibilités du cinéma ne sont pas celles de la bande dessinée : quand je dessine une case, il y a trois bestioles qui courent après Valérian et Laureline; dans le film, il y en a deux cent cinquante !

M8 Dane DeHaan stars in Luc Besson's VALERIAN AND THE CITY OF A THOUSAND PLANETS. PHOTO BY: Domitille Girard © 2016 VALERIAN SAS - TF1 FILMS PRODUCTION. ALL RIGHTS RESERVED

Vous avez toujours dessiné Valérian seul. Quand on passe à l’échelle du blockbuster, avec des centaines d’intervenants, ça pose la question de l’auteur… D’autant plus quand on parle de Luc Besson.
Je suis très sensibilisé à la critique cinématographique, mais il faut savoir si on veut du Besson ou du Bresson, faut pas déconner! La vérité, c’est qu’il n’y a personne d’autre que lui dans le cinéma français qui ait les couilles de monter un tel projet.

Le sens de ma question, c’était : comment faire un blockbuster à 200 millions d’euros en conservant l’âme de l’œuvre originelle– puisque vous dites qu’il y est parvenu ?
Si les producteurs avaient été américains, ils auraient dit : « Là, ça ne va pas, vos agents spatio-temporels n’ont aucun superpouvoir, ils ne sont pas assez musclés, etc. »  Heureusement, les Américains n’ont pas fait Valérian, je crois que j’en aurais pleuré. Avec Besson, l’esprit Valérian est là,
tout comme les thèmes antiracistes et antimilitaristes de l’histoire d’origine. Mais c’est parce qu’il l’a lue quand il était petit!

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Dane DeHaan et Cara Delevingne incarnent dans le film les deux personnages avec lesquels vous vivez depuis cinquante ans. Quel effet ça fait de les voir en chair et en os ?
Je ne me suis pas demandé s’ils ressemblaient à mes dessins – ce serait un réflexe con, sauf pour le Marsupilami de Franquin, il faut quand même qu’il ait une queue assez longue… (Rires.) Dans le film, ils deviennent Valérian et Laureline dès qu’ils commencent à se chamailler. Besson a bien trouvé comment traduire leur relation. Cela produit un jeu de miroirs déformants. En tant que dessinateur, je regardais un plan et je devinais à quelle planche il se référait. Pareil pour la présence de Rihanna, j’ai compris où il voulait en venir…

C’est-à-dire ?
Ah ben non, je ne vous le dis pas! Je vous laisse payer votre billet, nom de Dieu! Quand on voit le monde actuel, on se dit que beaucoup des craintes de la science-fiction des années 1960 sont en train de se réaliser.

C’est une question qui vous travaille ?
Et comment. Après-demain, je vais au Bourget, au Salon international de l’aéronautique et de l’espace, pour faire une intervention au pavillon du CNES (Centre national d’études spatiales), et je veux leur dire qu’il faudrait faire un peu le ménage sur la Terre avant d’aller saloper une autre planète. C’est quand même dramatique, cette obsession pour la conquête.

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