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Des bails de rêves : sur le tournage du nouveau film d’Antoine Desrosières

  • Marilou Duponchel
  • 2016-12-05

En 2015, après quinze ans sans tourner, Antoine Desrosières réalisait Haramiste, un moyen métrage rageur et virevoltant qui suivait deux jeunes sœurs musulmanes (les géniales Inas Chanti et Souad Arsane dans leurs premiers rôles au cinéma) dans des discussions fleuves sur l’amour, le sexe et la religion. Pour son troisième long métrage, tourné à Strasbourg, le cinéaste poursuit l’aventure Haramiste avec les mêmes comédiennes et les mêmes personnages (Inas joue Rim et Souad incarne Yasmina) tout en y apportant des variations : «J’avais l’idée d’aller plus loin. On reste dans un cinéma drôle, vivant, mais qui interroge. On verra Rim et Yasmina grandir : elles sont maintenant de plus en plus confrontées aux garçons. »

Inas Chanti et Souad Arsane sur le tournage "Des Bails de rêve" d'Antoine Desrosières

Inas Chanti et Souad Arsane sur le tournage « Des Bails de rêve » d’Antoine Desrosières © Yannick Karcher

Dans un appartement perché en haut d’une immense tour de l’Esplanade, un quartier étudiant de Strasbourg, la petite équipe de tournage se serre dans une chambre d’ado tapissée d’un papier peint aux motifs colorés (presque le même que celui d’Haramiste) sur lequel sont punaisés des posters de manga. Un peu plus tôt, lors du déjeuner, la truculente Inas Chanti nous a prévenu : aujourd’hui, on enregistre une scène où l’« on passe des rires aux pleurs ». L’autre comédienne, Souad Arsane, plus discrète mais dont on devine la force de caractère, arrive sur le plateau et salue chaleureusement chaque membre de l’équipe. Après divers réglages et discussions entre le réalisateur, tout en bonhomie, et son chef opérateur George Lechaptois, le moteur est lancé puis la prise commence. Dans la scène, Rim, vêtue d’un survêt’ rouge, est allongée nonchalamment sur le lit et rêvasse devant ses cours, casque vissé sur les oreilles. Yasmina entre, s’assoit au bord du lit puis interpelle sa sœur : « Je vais te raconter une histoire, mais ne me coupe pas. ». Rim se redresse aussitôt, surexcitée à l’idée d’entendre un ragot du quartier. Yasmina, l’air grave, débute son récit d’une parole hésitante. Elle se lance dans une histoire alambiquée et graveleuse sur une fille et deux garçons. Rim est totalement absorbée mais ne cesse d’interrompre sa sœur : « Vas-y, tu racontes l’histoire et, moi, j’essaie de deviner c’est qui ! »

C’est la première prise, « la roulante » comme l’équipe l’appelle : personne n’intervient et les filles déblatèrent sans interruption, dans un mélange de texte et d’inventions spontanées. Le cinéaste précise : « Elles ont une telle maîtrise du sujet qu’elles peuvent slalomer entre scénario et impro tout en retombant sur leurs pieds » L’enregistrement durera une quarantaine de minutes. Les comédiennes (stupéfiantes) enchaînent avec une endurance folle un verbiage nerveux et électrique. Inas, « la Louis de Funès française » comme l’appelle Antoine Desrosières, tord son visage dans tous les sens, passant avec une aisance déconcertante des éclats de rire à la mine boudeuse. Souad, plus en finesse, contrecarre l’énergie débordante de sa partenaire et amène une forme d’ambiguïté à la scène. C’est bien une comédie où l’on pleure. Au fil de la conversation, la tension monte et les larmes commencent à couler. Antoine Desrosières a l’œil braqué sur l’objectif de la caméra numérique. Après ce premier essai, les filles se posent le temps d’un verre d’eau, avant de retourner sur le plateau. On enchaîne avec la deuxième prise, dite « la soufflante ». Cette fois-ci, Anne Sophie Nanki, coscénariste du film (« Je travaille main dans la main avec elle. Si je meurs demain, c’est elle qui réalise le film » confie Antoine) guide les comédiennes avec le scénario en main. Elle les reprend, leur souffle des bouts de scénario quand elles l’oublient. Le texte est dense, l’histoire tortueuse, les actrices ne peuvent omettre aucun détail. Cette deuxième prise paraît plus éprouvante pour les comédiennes. Après ce ping-pong verbal étalé sur un peu moins d’une heure, entre Anne-Sophie, très directive, et les comédiennes qui fatiguent, la caméra se coupe enfin. Habituellement, on fait une troisième prise pour redynamiser certaines phrases. Mais aujourd’hui, les punchlines n’ont pas manqué : deux prises suffiront.

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