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Bo Widerberg, l’anti-Bergman

  • Pamella Pianezza
  • 2014-02-03

Peut-on aimer à la fois Ingmar Bergman et Bo Widerberg ? Vénérer l’un, est-ce trahir l’autre ? Ce cas de conscience n’a longtemps tiraillé qu’un petit groupe de cinéphiles, mais s’est démocratisé au rythme du travail de diffusion des œuvres de Widerberg par feu le festival du cinéma nordique de Rouen, par les éditions Malavida, qui ont sorti en DVD quatre de ses meilleurs films, et par le festival Premiers plans d’Angers, qui lui consacrait une rétrospective en janvier dernier. Même Olivier Assayas (dont Après mai cite ouvertement Joe Hill, film de Widerberg sorti en 1971) s’est posé la question avant de conclure que ce n’était sans doute pas incompatible, et qu’il suffisait de ne pas choisir. Mais comment clore le débat, sachant que Widerberg lui-même se présentait comme l’anti-Bergman, et ce dès l’âge de 32 ans ?

L’affaire se déroule en 1962. Bergman a déjà quelques Oscars et statuettes cannoises en poche. Widerberg, s’il a écumé les festivals de cinéma et exercé son talent de critique dans la presse, vient seulement de terminer son premier court métrage, Le Petit Garçon et le Cerf-volant. Un quasi inconnu, donc. Qui, bien qu’il ne soit le cadet de Bergman que de treize ans, s’attaque ouvertement au maître dans un essai baptisé Visions pour le cinéma suédois (Visionen i svensk film). Le texte détaille les « responsabilités » accompagnant le métier de réalisateur : exprimer des opinions personnelles sur les grands débats qui animent la société et proposer des pistes pour un changement social. Ce que ne fait certainement pas Bergman dans ses drames conjugaux et familiaux dont Widerberg reconnaît néanmoins la quasi-perfection formelle. « Widerberg reprochait à Bergman de mettre en scène des caricatures bourgeoises avec lesquelles personne ne pouvait s’identifier plutôt que de faire un portrait réaliste de la société, résume le journaliste et critique suédois Jan Lumholdt. Il le surnommait “le cheval de Dalécarlie”, ce qui équivaudrait en France à un petit moustachu en t-shirt rayé avec une baguette à la main… » Widerberg, au contraire, se propose de capturer dans des films « expressifs » les conditions de vie véritables des « personnes ordinaires », dans un style néoréaliste qui, note-t-il, aura en plus le mérite de réduire les budgets puisque les tournages se feront en extérieur et non plus en studios. C’est précisément ce qu’il fera dès l’année suivante, en 1963, avec la sortie de son premier long métrage, Le Péché suédois, portrait d’une jeune mère célibataire plutôt délurée.

CINÉMA SOCIAL

Peuplé d’antihéros sans cesse confrontés à des choix moraux, le cinéma de Widerberg se caractérise par une remise en question permanente des classes sociales, de la répartition des richesses et, surtout, par une délégitimation de la violence et de la corruption policière. Ce dernier thème est au cœur de ses deux polars, réalisés dans une veine réaliste sous l’influence avouée de William Friedkin : Un flic sur le toit (1976), adaptation d’un roman des marxistes Maj Sjöwall et Per Wahlöö dans laquelle il met en scène une métaphore de la guerre civile, et L’Homme de Majorque (1984). Mais cela s’exprime plus violemment encore dans son chef-d’œuvre, inspiré de faits réels, Ådalen 31 (Prix spécial du jury à Cannes en 1969), qui voit une manifestation de mineurs affamés réprimée dans un bain de sang par l’armée. Même dans le plus lyrique de ses films, Elvira Madigan, le conservatisme de la société suédoise apparaît comme le bourreau empêchant la réunion amoureuse d’un comte et d’une artiste de cirque (Pia Degermark, Prix d’interprétation féminine à Cannes en 1967). Lorsqu’il s’éteint en 1997, à 66 ans, Widerberg a tourné une petite dizaine de films. « Ses nombreux admirateurs et disciples autoproclamés étaient désespérés que celui qu’ils considéraient comme un génie incompris n’ait achevé qu’une partie de l’œuvre immense qu’il avait prévu d’accomplir, se souvient Jan Lumholdt. Mais ils étaient également nombreux à ne plus le supporter et à ne même plus vouloir l’approcher. » Dans son esprit, Bo Widerberg restera cet homme « incroyablement créatif, passionné, joueur, franc et énergique, mais aussi têtu, parfois brutal, provocant et volontiers conflictuel, peut-être un peu paranoïaque, et sans aucun doute bipolaire ». De quoi continuer de nourrir le mythe Widerberg.

Le Péché suédois, Ådalen ’31 et Elvira Madigan
de Bo Widerberg
sortie le 29 janvier

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