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Andrea Arnold, elle était une fois en Amérique

  • Timé Zoppé
  • 2017-02-06

Pourquoi avoir eu envie de filmer cette mythique terre américaine?
Il y a un bail, j’ai lu un article du New York Times sur les mag crews. Ce monde m’a captivée, je n’ai pas arrêté d’y repenser. C’est plutôt un truc américain. Le porte-à-porte existe aussi en Angleterre, mais l’échelle n’est pas du tout
la même, on peut quasiment traverser le pays en une journée, alors que l’Amérique, c’est géant. En même temps, les routes sont tellement vides et droites qu’on peut couvrir une longue distance en peu de temps.

Dans Fish Tank (2009), le morceau «California Dreamin’» de Bobby Womack occupe une place importante. Est-ce à dire que, quand vous étiez ado, vous rêviez des États-Unis?
J’avais complètement oublié que cette musique était dans Fish Tank ! J’ai grandi en voyant beaucoup de films américains, ça a dû forger mon imaginaire. Plus tard, j’ai passé un an à Los Angeles dans une école de cinéma. J’adorais faire des virées en dehors de la ville, explorer les montagnes et cette immensité qui m’était inconnue. À certains endroits, on ne peut pas situer l’horizon, on sent juste que c’est super loin. Certains gamins des mag crews viennent de petites villes dans le Midwest où on est noyé dans cet horizon lointain, comme dans l’océan. C’est peut-être pour ça qu’ils veulent aller voir ce qu’il y a au-delà…

Vous habitez toujours en Angleterre ?
Oui, à Londres. Mais je songe à m’installer dans le Montana. J’ai visité un paquet d’États, mais jamais celui-là. Tout le monde me dit que c’est merveilleux. J’ai besoin de plus de nature dans ma vie… Je rêve d’avoir des ours dans mon jardin. Je vais peut-être me prendre une année pour écrire, ou juste traîner avec les ours, me maquer avec un redneck et prendre un pick-up et un chien. Voire six.

Six chiens ?
Non, six mecs!

Vous avez sillonné les États-Unis pour écrire American Honey. Vous aviez besoin de vous sentir légitime pour parler de l’Amérique profonde?
Émotionnellement, j’ai besoin d’être très connectée avec ce que j’écris. J’ai fait plusieurs road trips pour préparer le film. Au moment du tournage, je ne me suis jamais sentie comme une touriste, j’avais fait tant de recherches et rencontré tellement de gens que j’étais très à l’aise.

Vous vous jouez de certains mythes américains, comme quand on voit un chien qui porte une cape de Superman et urine dessus. Est-ce que cela traduit votre propre désenchantement par rapport aux États-Unis ?
Je n’aime pas expliquer certains éléments, je préfère que les gens s’interrogent sur leur sens. Le chien qui porte la cape de Superman était dans le scénario. En fait, il y avait plus de clins d’œil aux super-héros dans le script, mais on n’a souvent pas eu l’autorisation pour les costumes. Cette imagerie des super-héros est extrêmement contrôlée par les ayants droit.

Le casting s’est étalé dans le temps. C’était difficile de trouver les bonnes personnes pour camper cette bande de jeunes aux origines et aux personnalités très diverses ?
On a surtout fait des castings sauvages, donc ça a été assez compliqué, on a beaucoup bougé. On ne cherchait pas à New York ou à L.A., mais surtout dans le Midwest, où les jeunes ne traînent pas en ville. Ce n’est pas comme en Angleterre, où la rue est très vivante. Aux États-Unis, beaucoup de gens dépendent de leur voiture, surtout à cause des grandes distances. Je me suis d’ailleurs demandé si ça n’incitait pas à se méfier de l’altérité et du monde en général. En s’enfermant dans sa voiture et en choisissant sa destination à l’avance, on évite les gens qui nous mettent mal à l’aise. C’est pour ça que j’aime Londres: on monte dans le bus et on côtoie tout le monde. Ça fait partie de la vie. Aux États-Unis, les jeunes traînent au Walmart. Ces centres commerciaux sont devenus comme des petits villages.

Comment était l’ambiance sur le tournage ?
C’était… vivant ! Même éprouvant. Chaque matin, je devais me booster pour aller tourner. Quand on est rentrés chez nous, ma première pensée a été : « Dieu merci, personne n’est mort ! » On a pris soin de tout le monde, mais il y a un moment où… Eh bien, ce sont des adultes. S’ils veulent faire la fête toute la nuit, on n’y peut rien. Je me demandais sans cesse : « Mais où sont-ils ? Qu’est-ce qui se passe ? Bon sang, ils sont allés à la foire !? » Mais on a fait tout le chemin avec la même équipe et on a tourné chronologiquement. C’était comme une grande famille, complètement folle.

Depuis Fish Tank, vous cadrez en 4/3, un format proche du carré. Pourquoi ?
Mes films sont centrés sur un seul personnage, et je trouve ce cadre parfait pour une personne, ça me semble très respectueux. Les gens se demandent toujours si je fais ça pour susciter un sentiment de claustrophobie, mais pas du tout, je veux juste donner un beau cadre à mes héroïnes. C’est votre film le plus long. Pourquoi avez-vous voulu l’inscrire dans la durée ? Pourquoi pas? Je pense que le film reflète en partie l’aventure qu’on a vécue. D’habitude, je n’écris que sur un personnage. Le film ne devait parler que de Star, et je n’avais pas écrit grand-chose sur les autres. Mais, au casting, je les ai trouvés tellement beaux que j’ai voulu les montrer, même si je les ai plus saisis comme un groupe, un ensemble. Je sais que la durée en exaspère certains, mais j’avais de bonnes raisons. Je ne m’excuserai pas!

American Honey évoque le cinéma de Larry Clark et de Harmony Korine.
J’aime ces réalisateurs, le rapprochement me flatte. Mais, quand je prépare un projet, je ne regarde jamais de films, pour ne pas être influencée. Je pense qu’on compare mon film aux leurs surtout par rapport aux jeunes, puisqu’ils ont aussi travaillé avec des non-professionnels…

Peut-être aussi parce que ces comédiens sont issus de l’Amérique white trash ?
Je déteste cette expression, j’essaye de la bannir de ma vie! Personne n’est un déchet, comment peut-on appeler quelqu’un comme ça? Les gens utilisent cette expression de manière trop désinvolte. Je connais ces jeunes, ils sont dans mon film, et pour moi ce ne sont pas des ordures, en aucun cas.

Comptez-vous tourner votre prochain film aux États-Unis ?
Non, je pense rentrer en Angleterre, j’ai besoin de retrouver mes racines.

Vous avez réalisé des épisodes de la série américaine Transparent. Comment avez-vous atterri sur le projet ?
La créatrice de la série, Jill Soloway, m’a contactée après avoir vu Fish Tank, je crois qu’elle a beaucoup aimé l’intimité qui se dégage du film. J’ai adoré la première saison de Transparent, ça m’a convaincue de m’embarquer dans cette nouvelle expérience. Là, je viens de finir de participer à une autre série de Jill, I Love Dick, avec Kevin Bacon. J’ai tourné cinq épisodes à la suite, ce qui fait… beaucoup. C’était super, mais je ne vais pas mentir: je suis épuisée.

«American Honey»
d’Andrea Arnold Diaphana (2h43)
Sortie le 8 février

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