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Lukas Dhont : « En voyant cet amour entre deux hommes à l’écran, j’ai senti que j’appartenais à cet endroit d’expression des sentiments »

  • Quentin Grosset
  • 2024-04-29

Le réalisateur belge (« Girl », Caméra d’or et Queer Palm 2018 ; «  Close », Grand Prix 2022), président du jury de la Queer Palm 2024, dont TROISCOULEURS est partenaire, et parrain de la première promotion du Queer Palm Lab – un mentorat d’un an et une résidence pour des jeunes cinéastes travaillant sur un premier long queer –, évoque pour nous les premières images qui ont fait battre son petit cœur queer.

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« Enfant, j’ai vu beaucoup de films et de séries dans lesquels l’amour et l’identité s’exprimaient dans un cadre hétéronormatif. Je ne m’y identifiais pas forcément, mais ça a été mon introduction à la représentation même du désir. Et puis il y a eu ce film, L’Objet de mon affection [1998, ndlr] de Nicholas Hytner, avec Jennifer Aniston, que j’ai regardé avec ma mère. Ce n’était pas forcément un chef-d’œuvre, mais Paul Rudd incarnait un personnage gay. J’étais sur le canapé et, tout à coup, sans que ce soit conscient, un sentiment s’est réveillé en moi. À l’écran, ça ressemblait à un désir que je partageais pleinement. Je me rappelle avoir reconnu une partie de moi.

"L'Objet de mon affection"

Les premières images queer qui ont été vraiment importantes pour moi, c’était quand j’étais au lycée, en troisième année. J’étais dans un établissement très catholique, où on devait porter des uniformes, tout le monde se ressemblait. Tous les mois, on allait au cinéma avec ma classe. Cette fois-là, le film projeté était Le Secret de Brokeback Mountain [2006, ndlr] d’Ang Lee. En voyant cet amour entre deux hommes à l’écran, dans mon for intérieur, j’ai senti que j’appartenais à cet endroit d’expression des sentiments.

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L’art queer est entré dans ma vie sans que je le cherche nécessairement, mais ça a été le début pour moi d’une exploration plus active pour trouver des images auxquelles je puisse m’identifier profondément. C’est à cette époque que j’ai découvert Orlando [1993, ndlr] de Sally Potter. Je trouvais qu’il y avait une grande liberté dans l’interprétation d’Orlando par Tilda Swinton.

Ce personnage qui se déplace entre le féminin et le masculin, qui se transforme sans frontières définies, j’ai vu en lui un champ des possibles. J’étais un jeune garçon élevé dans la campagne flamande, et jusque-là j’avais l’impression qu’il y avait comme des murs invisibles autour de mon expression de genre. J’ai commencé à penser le genre comme plus fluide, performatif. Lorsque j’étais ado, ce sont des films comme celui-là qui m’ont amené à la queer theory, par exemple aux livres de Judith Butler.

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Au même moment, un autre film très important pour moi a été My Own Private Idaho [1992, ndlr] de Gus Van Sant. Je l’ai vu à un moment où je n’étais pas très ouvert à cette part de mon identité. Mais je pouvais l’exprimer, la ressentir, l’expérimenter à travers les images et les livres, les vies des autres. My Own Private Idaho me parlait, car il y a ces héros un peu en marge de la société, qui tentent de trouver une connexion, une intimité entre eux. Plus tard, cette idée de la famille choisie est devenue importante dans ma vie. Bien sûr, j’analyse ça rétrospectivement, mais c’est un film qui m’a intuitivement inspiré.

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Je me souviens aussi très bien des photos de Nan Goldin. Elles me paraissaient si loin de moi, ça ressemblait à de la science-fiction par rapport à l’endroit où j’avais grandi. Cette joie, ces couleurs, cette intimité… J’y ai trouvé l’idée que chaque personne est multiple.

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C’était l’époque où Internet prenait de l’ampleur. J’ai commencé à chercher des images sur Google. Ainsi, j’ai découvert le travail brut et troublant de Francis Bacon. Son œuvre a été déterminante dans ma manière d’appréhender les images, notamment pour l’ambiguïté de son geste, pour la physicalité de ses peintures. Son œuvre Figures in a Landscape [1954, ndlr] m’inspire par sa dualité – on peut y voir deux personnes qui se battent, ou bien deux amants.

Chez lui, il y avait aussi l’horreur qui me parlait. Les premières images que j’ai faites moi-même, c’étaient des films d’horreur. J’étais très attiré par l’idée du monstre, quelqu’un d’effrayant pour les autres et pour lui-même, en marge. C’était comme une façon différente d’exprimer mes sentiments reliés à mon identité queer.

Être président du jury de la Queer Palm cette année, c’est un grand cadeau pour moi en tant que cinéphile. Je vais pouvoir me nourrir de tous ces univers. Pour moi, le cinéma queer ne concerne pas seulement la sexualité ou le genre, c’est beaucoup plus large. Il s’agit aussi de trouver de nouvelles formes, de sortir des carcans narratifs pour briser les stéréotypes. Je suis impatient. »

Image de couverture : (c) Mayli Sterkendries

Affiche ci-dessous : (c) Sandra Lazzarini

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