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« Le Mal n'existe pas » : la sublime fable de Ryūsuke Hamaguchi

  • David Ezan
  • 2023-09-05

[CRITIQUE] Fort d’une reconnaissance internationale depuis « Drive My Car » (2021), Ryūsuke Hamaguchi frappe à nouveau avec une fable éblouissante sur un village rural confronté à la cupidité d’investisseurs venus de Tokyo.

Cette fois, le Japonais Ryūsuke Hamaguchi délaisse l’urbanité au profit d’un petit village forestier situé non loin de Tokyo. Là résident une fillette et son père, en harmonie avec le vivant. Le film éblouit d’abord par sa mise en scène, qui tranche avec le fonctionnalisme de tout un pan réaliste du cinéma. Chez Hamaguchi, les portes du réel s’ouvrent dans le temps et dans le silence, tandis que le père coupe du bois puis cueille du wasabi pour le dîner. On est abasourdi par ces images où l’émotion surgit d’un simple travelling en voiture ou d’un panoramique en forêt. Autant d’idées formelles qui transcrivent la sérénité du lieu, auquel on s’attache instantanément – au point qu’il en devienne un personnage à part entière. C’est qu’au didactisme narratif Hamaguchi préfère une poétique de l’instant. Le film s’inscrit pourtant dans une filiation militante, tandis que deux investisseurs présentent aux villageois leur projet de « camping glamour ».

On s’en doute : les locaux sont réticents. Le cinéaste dessine un lien trouble entre les investisseurs et cette communauté dont ils ignorent tout, mais qu’ils cherchent à séduire. On pensait voir un drame social clair et limpide. Hamaguchi nous enfonce finalement dans un puits d’incertitude. Le récit s’emballe, la musique résonne d’un lyrisme déchirant. Une musique presque godardienne, qui apparaît puis disparaît aussi brutalement. Qu’on ne s’y trompe pas : sous ses faux airs de mélopée humaniste, le film est tout aussi brutal. Et à la douceur de façade s’ajoute bientôt un pressentiment funeste, implacable : celui de l’incommunicabilité grandissante entre deux sociotypes, deux visions du monde. Hamaguchi a ainsi l’intuition d’en faire le prétexte à tous les dérèglements, au sein d’un film qui nous échappe et confine progressivement au cauchemar : à grand cinéaste, grande idée de cinéma.

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Le mal n’existe pas de Ryūsuke Hamaguchi, Diaphana (1h46), sortie le 10 avril.

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