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José Bové et Bouli Lanners : « L'image permet de construire un mouvement »

  • Quentin Grosset et Joséphine Leroy
  • 2024-04-30

José Bové VS. le lobby du tabac dans une enquête tentaculaire en plein Parlement européen. Dans le passionnant « Une affaire de principe » d’Antoine Raimbault, thriller politique aussi dense qu’haletant, Bouli Lanners, aux côtés de Céleste Brunnquell et Thomas VDB, est excellent dans le rôle de l’ex-député européen. On a réuni les deux moustachus pour parler de leurs engagements communs, et du poids de l’image dans la lutte.

Vous vous connaissiez tous les deux avant de faire ce film ?

Bouli Lanners : On ne s’était jamais rencontrés, mais je connaissais évidemment José Bové, qui a été important dans mes réflexions, mon militantisme. Quand j’étais plus jeune, j’entendais parler du Larzac [dans les années 1970, alors jeune objecteur de conscience, José Bové se rend sur le plateau du Larzac et participe avec d’autres militants au mouvement des paysans contre l’extension d’un camp militaire. Dès 1973, il s’y installe définitivement. Le documentaire Tous au Larzac, réalisé en 2011 par Christian Rouaud, revient sur cette période d’effervescence politique, ndlr]. C’était le tout début du parti écolo en Belgique.

Après, il y a eu la question des OGM [les « organismes génétiquement modifiés », promus par certains grands industriels de l’agro-alimentaire, dont Monsanto, mais décriés par plusieurs mouvements écologistes. José Bové participe depuis des années à des actions anti-OGM, comme des fauchages de plantations, ndlr]. C’est un apprentissage à la contestation sur la base de choses qui existent et qu’on ne nous enseigne pas à l’école. Donc José Bové a toujours fait partie de ma vie en fait. Mais je dois dire la vérité : José n’a pas de vraie moustache, tout est faux !

José Bové : La première fois que j’ai vu Bouli au cinéma, c’était dans Louise-Michel [une comédie de Gustave Kervern et Benoît Delépine sortie en 2008. Bouli Lanners y campe un tueur à gages embauché par les ouvrières d’une entreprise de cintres qui veulent la tête de leur patron, qui les menace de délocalisation, ndlr.]. C’est sûr que je ne l’embaucherais pas comme tueur à gages !

Bouli, on vous sait engagé. Qu’est-ce que ça vous a fait de jouer l’eurodéputé ?

B.L. : Je suis un homme politique en tant que citoyen, mais je ne rentre pas dans la machine de l’institution. Je participe à des manifestations, à des actions de désobéissance civile régulièrement et j’ai mes « targets » comme on dit. Mais je ne suis pas du tout dans l’appareil – même si on m’a proposé plusieurs fois, encore maintenant avec les élections qui viennent. Ils viennent nous flatter, mais ça ne m’intéresse pas. Il faut du courage pour rentrer comme José l’a fait dans les institutions. J’ai passé deux mois au Parlement européen de Strasbourg. Franchement, je ne pourrais pas. L’environnement m’étouffe. Et puis je n’ai pas le bagage qu’il faut pour pouvoir se retrouver dans toutes ces méandres juridiques, ce labyrinthe de lois, de règlements, de directives…

José, quand on pense à vous, on pense non seulement au Larzac, mais aussi à d’autres moments politiques forts. Vous avez toujours réussi à vous approprier l’image pour vos combats. Qu’est-ce qui en fait un outil politique puissant selon vous ?

J.B. : Je dirais que cette façon de lutter en utilisant l’image date de l'invention du cinéma. Et même de la photo. Dans les mouvements d'émancipation non-violents, le premier à avoir compris l’importance de l’image, c’est Gandhi, quand il fait la « marche du sel » [en 1930, Gandhi veut obtenir l’abrogation de l’impôt sur le sel. Avec ses compagnons, il part le 12 mai avec l’objectif de récolter au bord de l’océan Indien ce produit très contrôlé par la puissance coloniale britannique. Ils sont bientôt rejoints par des milliers de sympathisants. Cet événement marque un tournant majeur dans l’histoire de l’Inde, ndlr]. Cette marche sur quelques centaines de kilomètres [380, ndlr] est incroyablement couverte médiatiquement, les images tournent dans le monde entier. Il n'y a pas d'affrontement, les marcheurs vont juste à la plage. Et qu'est-ce qu'ils font ? Ils prennent une casserole et ils font bouillir l'eau pour ramasser le sel. C’est une subversion totale qui mène Gandhi en prison pour des années.

Cette conscience du poids de l’image, on la retrouve chez Martin Luther King, quand il se bat pour les droits civiques, et qu’il y a ces images de gens assis avec des chiens policiers qui les attaquent alors qu'ils ne bougent pas. Puis cette image de « jeune fille à la fleur », qui oppose sa fleur à une baïonnette [« la jeune fille à la fleur », photographie très célèbre de Marc Riboud, prise en 1967, lors d’une manifestation pacifique à Washington contre l’intervention militaire américaine au Vietnam, ndlr]. La première manifestation visuelle du Larzac, ça a été d’amener de nuit soixante brebis au pied de la Tour Eiffel. C’est une façon de montrer la voie aux gens, de faire de la pédagogie, ce qui est très important. Quand je lève mes mains menottées et qu’en même temps j’ai le sourire [un cliché connu de José Bové, pris lors de son arrestation, après le démontage du McDonald de Millau, le 12 août 1999, ndlr], ce n’est pas de la pub, ce n’est pas de la com. C’est une manière d’amener l’opinion à soi, puis de construire un mouvement.

Que pensez-vous de la manière dont on utilise les images aujourd’hui ?

B.L. : On est en plein dans l’ère de la propagande. La propagande, c’est une construction psychologique, un matraquage soit d’un discours, soit d’une image. Mais les gens qui agissent, se mobilisent peuvent aussi incarner quelque chose de fort. Je pense par exemple à Greta Thunberg. Son petit geste de grève [en 2018, la militante suédoise est devenue un phénomène, en organisant une simple grève devant le Parlement suédois, visant à dénoncer le réchauffement climatique, ndlr] a fait le tour du monde, et a inspiré toute une génération.

Y-a-t-il un film qui aurait fait bouger vos consciences ?

 B.L. : Il y en a un qui m’a fait forte impression quand j’avais treize, quatorze ans, c’est The Day After [de Nicholas Meyer, 1983, qui parle d’une guerre fictive entre les forces de l’OTAN et celles du Pacte de Varsovie, qui se dégrade et devient en échange nucléaire entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique, ndlr]. Je l’ai vu à la maison de jeunes parce que, comme je vivais à la campagne, il n’y avait pas de cinéma. Ça m’a complètement figé, ça m’a abasourdi sur ce qu’était vraiment le nucléaire. Après, j’ai participé aux premières manifs contre le déploiement les missiles SS-20 et des fusées Pershing [les symboles de la course aux armements nucléaires entre les États-Unis et l’Union Soviétique, ndlr.]

On était plus de 100 000 personnes, et ça m’a vraiment marqué dans mon action antinucléaire. J’en ai rêvé, j’ai eu des cauchemars, et ce film a été un déclencheur. Vous êtes très très nucléarisés en France. C’est l’omerta totale. La France est le pays le plus nucléarisé du monde, il y a même des mines d’uranium. Et il y a plein de scandales potentiels sur ce qu’on a sorti de ces mines, qui a été coulé dans du béton, dans des bâtiments publics, dans des écoles.

 J.B. : Tu devrais engueuler notre génération, mais on était tellement minoritaires sur ce combat à l’époque. La plus grande marche antinucléaire, c’était en juillet 1977, à Creys-Malville, dans l’Isère, contre la construction du sugénérateur Superphénix. C’était un mouvement ouvert, il y avait encore de la naïveté, de la beauté, les gens y croyaient. Il suffisait de se rassembler, de marcher ensemble. Mais les black blocs ont fait les cons devant, comme d’habitude. Un manifestant écologiste, Vital Michalon, s’est pris une grenade, il en est mort, et ça a signé la fin de la mobilisation nucléaire en France, ça a été une grande rupture. Aujourd’hui, elle est recassée à nouveau.

Dans le film, José, vous devenez un personnage de cinéma. Quelle importance vous donnez à l’incarnation dans les combats ?

 J.B. : Être un personnage de cinéma, ce n’était pas du tout une idée que j’avais en tête. Moi, je n’invente rien, j’ai écrit un témoignage [le livre Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe, publié aux éditions La Découverte en 2015]. Un réalisateur qui adore les thrillers [Antoine Raimbault, ndlr] s’est dit qu’on n’avait jamais fait un truc comme ça avec les députés européens. Il m’a contacté. Je lui ai dit que j’étais d’accord pour qu’il adapte mon livre, mais ce n’est pas tant par rapport à moi, ça ne change rien à ce que j’ai vécu.

Par contre, ce qui est nouveau, c’est que le film est incarné par des comédiens absolument merveilleux, qui rendent visible cet espace où on a vécu. Et au moment où ils le rendent visible, l’actualité rebondit. Giovanni Kessler lâche son patron et corrobore notre version [dans le film, José Bové et son équipe parlementaire sont persuadés que José Manuel Barroso, président de la Commission européenne entre 2004 et 2014, a orchestré le renvoi, en 2012, de l’ancien Commissaire européen à la Santé et à la Politique des consommateurs John Dalli, sur fond de corruption avec le lobby du tabac. Directeur de l’OLAF (Office européen de lutte antifraude), Giovanni Kessler avait nié l’implication de Barroso, jusqu’à la levée en mars dernier de son immunité parlementaire, ndlr]. On est renforcés par tous ceux qui ont participé au film, ils sont dans l’histoire d’aujourd’hui. C’est la preuve qu’il n’y a pas besoin d’être élu pour être acteur de la réalité !

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